Thérapeutique
Publié le 14 déc 2010Lecture 10 min
Mediator : état des lieux
La décision qui s’imposait, le retrait du marché du Mediator a été prise par l’AFSSAPS.
L’information du grand public était, elle aussi, nécessaire pour que les patients, soumis à un traitement par Mediator, subissent un examen cardiaque.
Ce qui ne s’imposait pas, loin de là, est de lancer en pâture à la presse grand public le chiffre de 500 morts, qui est une extrapolation reposant sur une étude, certes sérieuse, mais dont les biais et les approximations sont multiples. Cette étude a, sans doute, été réalisée de façon trop précipitée et ne pouvait pas respecter les critères rigoureux qui sont ceux des grandes études, les données croisées restant par nature parcellaires et certaines (telles les causes de mortalité) imprécises. Ce travail, considérable, a déclenché un déferlement médiatique et la panique compréhensible des patients.
Les faits Le Mediator (benfluorex) a été mis sur le marché en 1976, il s’agit d’un antidiabétique ayant une action favorable sur les lipides et qui évite une prise de poids par le patient (d’où son détournement par certains patients dans un objectif d’amaigrissement). Les études répondaient naturellement aux critères d’AMM en vigueur, il y a plus de 30 ans. En 2000, souhaitant moderniser le dossier de son produit, le laboratoire Servier a réalisé trois études : deux études versus placebo et une étude versus l’antidiabétique le plus récemment mis sur le marché. Il ressortait de ces études une efficacité de Mediator sur la glycémie à jeun, sur l’HbA1c et un effet bénéfique sur les triglycérides. À cette époque, les centres de pharmacovigilance n’avaient pas la notion d’un quelconque lien entre la prise du médicament et la survenue de valvulopathies. En ce qui concerne le « retrait » du Mediator, il n’a jamais été retiré aux États-Unis pour la simple raison qu’il n’y a jamais été commercialisé. En Italie et en Espagne, c’est le laboratoire qui n’a pas demandé de renouvellement pour des raisons économiques et logistiques. À la date du 31 décembre 2005, le service de pharmacovigilance de Servier avait connaissance de 5 cas de valvulopathies attribuables au Mediator. Les informations communiquées par l’AFSSAPS L’AFSSAPS, dans un communiqué de presse daté du 16 novembre 2010, apportait les précisions suivantes : • Le suivi spécifique de pharmacovigilance du Mediator a été mis en place en 1998. Avant 2006, 3 cas de valvulopathies avaient été signalés sans qu’un lien direct puisse être établi. • En 2006, le premier cas de valvulopathie lié à la prise de Mediator est signalé à l’Agence. À la fin de l’année 2008, un 2e cas d’atteinte valvulaire sera signalé. • Une grande majorité des cas est signalée à l’AFSSAPS au cours de l’année 2009 et, au terme de celle-ci, il était établi qu’on pouvait faire le lien entre 42 cas de valvulopathies et la prise de Mediator. Le laboratoire Servier, interrogé, confirme qu’il a actuellement connaissance de 45 cas de valvulopathies observés chez des malades traités par Mediator. Enfin, il faut préciser que 1 mois avant le retrait du Mediator, les autorités sanitaires françaises accordaient une AMM à deux de ses génériques. L’étude REGULATE En 2006, le laboratoire Servier débutait une étude « Comparaison à 1 an de benfluorex et pioglitazone dans le diabète de type 2 : étude REGULATE » avec P. Moulin, M. Dechampvallins, E. Bruckert, H. Rousset, S. Senn, A. Serusclat, E. Servan, L. Van Gaal et G. Derumeaux. Il semble intéressant d’en reproduire le résumé in extenso. Introduction L’efficacité de Benfluorex (B) en association aux sulfamides (SU) par rapport au placebo a été démontrée chez les patients diabétiques de type 2 (DT2). Nous avons souhaité comparer l’efficacité et la sécurité d’emploi à 1 an de B et de pioglitazone (P) chez des diabétiques de type 2 traités en monothérapie par sulfamide. Patients et méthodes 847 patients DT2 traités par SU en monothérapie, inclus dans cette étude randomisée, contrôlée en double-aveugle ont reçu B (n = 423) ou P (n = 424) à la dose recommandée. Le critère primaire était l’évolution de l’HbA1c. Les critères secondaires incluaient le profil lipidique, le poids, le Nt-proBNP et une évaluation par échocardiographie de la fonction VG et de l’état valvulaire. Résultats Les deux groupes étaient similaires au début de l’étude : homme 55 %, âge 59 ans, ancienneté du diabète 7 ans, IMC 29,5 kg/m2, HbA1c 8,3 %, LDL-c 3,1 mmol/l. La réduction d’HbA1c était significative dans les deux groupes (B-0,54 ± 1,12 vs P-0,88 ± 1,24 %) avec une différence intergroupe de 0,33 % (IC95 % 0,17 %-0,49 %, p = 0,19) sans conclure à la non-infériorité de B. La baisse du LDL-c sous B (-8 %) vs P (-4 %) a conduit à une différence de -0,13 ± 0,05 mM, p = 0,005. La perte de poids modérée avec B (-1,6 kg) se démarquait de la prise de poids avec P (+3,3 kg). Le NT-proBNP a augmenté légèrement dans les deux groupes, sans modification de la fonction VG, et des fuites valvulaires asymptomatiques, de grade « trivial », sont apparues plus fréquemment avec B (26 % vs 10 % ; OR 3,25 [2,06-5,13], p < 0,0001), principalement aortiques (13 % vs 1 %), sans différence pour les anomalies patentes (0,7 % vs 1,0 % ns). L’incidence d’événements indésirables et d’arrêts de traitement a été similaire dans les deux groupes (B 64 % vs P 63 %, et 9 % vs 8 % respectivement), avec des hypoglycémies (9 % vs 13 %, p = 0,05) et œdèmes (2,1 % vs 7,1 %, p < 0,001) plus fréquents sous P et plus de diarrhées sous B (4,3 % vs 1,9 %, p = 0,045). Conclusion Cette étude confirme l’efficacité à 1 an de benfluorex en association aux sulfamides sur le contrôle glycémique, avec une efficacité moindre que la pioglitazone sur l’équilibre glycémique, mais supérieure sur le LDL-c et sans prise de poids. Les fuites valvulaires minimes et asymptomatiques observées plus fréquemment sous B que sous P impliquent des études complémentaires. Cette étude appelle un certain nombre d’observations : • Elle est particulièrement intéressante car tous les patients ont eu une échocardiographie, dont l’analyse a été centralisée sous la responsabilité d’un expert incontestable, le Pr Geneviève Derumeaux. • C’est ainsi qu’il est apparu qu’avant tout traitement, plus de 1 diabétique sur 2 (51 %) était atteint d’une fuite valvulaire minime (grade 1). • L’étude a mis en évidence l’émergence de 8 valvulopathies morphologiques dans le groupe Mediator versus 4 valvulopathies dans le groupe pioglitazone (non significatif), et de valvulopathies fonctionnelles sans signe clinique dans 27,2 % des cas dans le groupe Mediator versus 11,2 % dans le groupe pioglitazone (significatif). • Enfin, un dernier point à souligner est l’apparition d’une HTAP chez 4 patients sous Mediator et chez 9 patients sous pioglitazone. Les données de la CNAM Le dernier travail disponible est l’étude a posteriori réalisée par la Caisse nationale d’assurance maladie (A. Weil, M. Païta, P. Turpin et M. Piolot). Ce travail, réalisé en 2010 et communiqué le 28 septembre 2010, étudie à partir des PMSI (codification des pathologies à l’hôpital), à partir des données des caisses (patients ayant reçu du Mediator) et des causes certaines ou supposées de mortalité, l’éventuel lien entre mortalité, pathologie valvulaire et Mediator. Ce travail est remarquable par son importance (croisement de milliers de données) et par son sérieux. Il porte sur 303 259 patients ayant reçu du Mediator entre 2006 et 2009. C’est ce travail qui a permis, à partir d’une extrapolation, d’établir le « nombre » de morts attribués au Mediator. Avec une grande honnêteté, les auteurs de l’étude de la CNAM précisent qu’il s’agit « d’une analyse épidémiologique sur une cohorte qui permettait d’avoir un début de documentation de l’impact du benfluorex ». Malheureusement, cette étude est victime de nombreux biais qui ne sont pas liés à la qualité des auteurs, mais inhérents à toute enquête a posteriori reposant sur des données forcément incomplètes, imprécises ou inexactes. Ainsi, tous les hospitaliers connaissent la marge d’erreur liée au PMSI (de l’ordre de 10 à 25 % selon les services). Le PMSI fait le distinguo entre insuffisance valvulaire rhumatismale et non rhumatismale. Or, tous les spécialistes confirment qu’en dehors d’un examen anatomique rigoureux, ce distinguo est extrêmement difficile à établir. En ce qui concerne les causes de décès, la détermination des causes supposées répondait à la règle suivante : « Si le décès avait eu lieu à l’hôpital, la cause de décès supposée correspondait au diagnostic principal du séjour au cours duquel le décès est survenu, quand le code CIM 10 de ce diagnostic principal était une maladie. Lorsque le code CIM était un traitement (chimiothérapie, radiothérapie, etc.), on utilisait alors le diagnostic relié pour déterminer la cause de décès supposée (par exemple cancer du poumon). Si le décès n’avait pas lieu à l’hôpital mais que l’individu avait été hospitalisé au cours des 4 derniers mois (c’est-à-dire au cours du mois de décès ou de l’un des 3 mois précédents), on utilisait de la même manière les diagnostics principaux et reliés des deux derniers séjours à l’hôpital*. Si le décès n’avait pas eu lieu à l’hôpital et que l’individu n’avait pas été hospitalisé au cours des 4 derniers mois, la cause de décès retenue était déterminée de façon probabiliste en tenant compte des affections les plus graves. Il était tenu compte, en particulier, des comorbidités potentiellement létales comme les tumeurs et affections malignes, les autres pathologies cardiovasculaires et différents facteurs pouvant avoir une influence sur le décès (âge, etc.) ». Les données relatives à l’âge d’instauration du traitement et l’âge du décès posent également un problème. L’âge moyen des patients exposés au Mediator était de 52,8 ans. L’âge moyen des patients décédés était de 69 ans. L’étude de la CNAM montre que le maximum de décès survient la 2e année suivant l’instauration du traitement. Pourquoi dans ce cas existe-t-il un écart de près de 17 ans entre l’âge moyen des patients exposés au benfluorex et l’âge moyen au jour du décès ? La question mérite d’être posée. Conclusion L’affaire du Mediator est bien trop grave pour faire l’objet d’une polémique. Il n’est pas question de montrer du doigt l’AFSSAPS, dont la mission première est la sécurité des produits de santé. L’Agence ne disposait que des données de pharmacovigilance qui lui parviennent dans leur intégralité. Il n’est pas question de montrer du doigt un laboratoire qui a initié lui-même une étude contrôlée avec une évaluation rigoureuse de la fonction cardiaque par échocardiographie et qui en a rendu public les résultats. Il n’est pas question de montrer du doigt la CNAM qui a réalisé très vite l’enquête qu’on lui demandait, en urgence, à partir des seuls éléments dont elle disposait. Cette affaire mérite que tout le monde prenne du recul, elle justifie un travail qui sera long mais qui est indispensable. Cela suppose une étude méticuleuse, réalisée par des spécialistes incontestés et incontestables, reposant sur des critères rigoureux, qui sont les critères scientifiques utilisés dans les grandes études. C’est la seule solution pour connaître la vérité. -- *Ainsi, un patient hospitalisé 4 mois avant son décès pour l’exploration d’une fuite mitrale n’était pas susceptible de décéder d’un AVC ? (un facteur correctif dont on ignore le mode de calcul aurait été utilisé pour tenir compte d’une telle éventualité). Cet article a été rédigé à partir des documents fournis par l’AFSSAPS, la Caisse nationale d’assurance maladie et d’un entretien avec les responsables du laboratoire Servier.
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