Cardiologie générale
Publié le 19 mai 2009Lecture 7 min
Où va la recherche en pharmacologie cardiovasculaire ?
M.-D. DRICI, Pharmacologie-CHU de Nice
Les maladies cardiovasculaires sont le facteur de mortalité le plus important des pays industrialisés. Pour pallier ce problème, il faut augmenter notre effort dans la recherche de médicaments plus efficaces et moins toxiques. Les innovations dans le domaine de l’hypertension artérielle font largement appel à des modes d’action déjà connus (anti-rénines, inhibiteurs des vasopeptidases, association de principes actifs, etc.) et la prévention y prend tout son sens. En 2050, la prévalence de la fibrillation auriculaire sera de 2 % dans la population et beaucoup plus chez le sujet âgé. Cet enjeu de santé publique remet sans cesse en cause le développement de nouveaux anticoagulants ne nécessitant pas de surveillance biologique, et d’anti-arythmiques à l’efficacité certaine mais qui doit aller de pair avec une sécurité d’emploi optimale. Devant ce challenge, l’industrie pharmaceutique tente de s’adapter.
Le domaine cardiovasculaire est une des cibles majeures des industriels pharmaceutiques à cause de sa prévalence élevée, responsable de plus de la moitié des décès en Europe. Le vieillissement de la population des pays occidentaux et « l’occidentalisation » toujours croissante des pays émergents vont constituer un important problème de santé publique au 21e siècle, à cause des modes de vie qui leur sont associés. Bien que l’on assiste à une augmentation permanente des coûts de santé publique, certains secteurs de la cardiologie sont en manque cruel de thérapies efficaces et non toxiques, comme la prévention des thromboses chez le sujet âgé en fibrillation auriculaire, le traitement du syndrome métabolique, la prévention et le traitement des troubles du rythme, etc. Si dans les années à venir, la mesure précise du rapport coût/efficacité sera essentielle à considérer, l’inflation galopante des prix de revient de ces traitements devra être justifiée par une performance en termes d’activité, ce qui fait souvent défaut aujourd’hui. Le changement du mode et de l’hygiène de vie sera encore plus problématique demain, bien que cela entraîne un bénéfice indiscuté au niveau des populations.
Perspectives de pharmacologie cardiovasculaire
Hypertension
C’est un des rares secteurs pour lesquels nous pouvons considérer les thérapeutiques comme maximalisées, bien qu’un effort considérable doive être réalisé dans la prévention ou les mesures hygiénodiététiques.
L’aliskiren, nouvel anti-rénine, était la dernière innovation dans ce domaine, bien que les premiers aient été synthétisés il y a plus de 25 ans ! Il agit en se liant au site actif de la rénine et paraît aussi efficace qu’un IEC avec une meilleure tolérance. Comme avec les ARA II, il offre l’avantage et les inconvénients potentiels d’un blocage plus efficace de l’axe rénine-angiotensine lorsqu’il est associé à un IEC, ce qui est maintenant déconseillé.
De nouveaux inhibiteurs mixtes de l’enzyme de conversion et de l’endopeptidase, tel l’ilépatril, sont en développement actuellement, non seulement dans le traitement de l’hypertension artérielle, mais aussi celui de la néphropathie diabétique. Ce profil est semblable à celui de tous les bloqueurs de l’axe rénine-angiotensine aldostérone. La progression de « l’épidémie » de syndrome métabolique dans les pays industrialisés pourrait permettre de leur trouver une place stratégique lorsqu’on doit traiter le patient au-delà des chiffres tensionnels.
De même, alors que les IEC étaient à peu près équivalents aux diurétiques et aux inhibiteurs calciques dans l’étude ALLHAT, rien ne peut expliquer pourquoi l’association bloqueurs du SRAA-inhibiteurs calciques est largement supérieure en termes de morbi-mortalité à l’association bloqueurs du SRAA-diurétiques, comme vient brillamment de le démontrer une étude récente, à moins de ne plus considérer ces associations médicamenteuses comme deux principes actifs disjoints mais comme une nouvelle entité pharmacologique dont le mécanisme d’action reste à élucider.
Coagulation
Le traitement conventionnel antithrombotique fait appel aux héparines, aux anticoagulants oraux et à l’aspirine. Le développement d’héparinomimétiques (pentasaccharide, héparine de bas poids moléculaire, etc.) a permis une plus grande maniabilité, sans révolutionner l’efficacité. Les nouvelles cibles anticoagulantes sont, soit spécifiques d’un facteur de la coagulation (II-a, VII-a, IX-a, X-a, XII-a, XIII-a), soit d’autres intervenants de la coagulation, comme la thrombomoduline, la protéine C activée recombinante…
Une avancée considérable dans ce domaine met en exergue les anticoagulants oraux non apparentés aux antivitamines K (anti-X-a et anti-II-a, antithrombine directs), qui sont promis à un bel avenir.
Ainsi, le dabigatran, déjà commercialisé en France, antithrombine direct, poursuit son développement. Cette classe agit sur la thrombine liée à la fibrine et serait plus efficace que l’héparine qui agit indirectement. Le dabigatran, a déjà été évalué avec un grand succès dans la prévention de la thrombose veineuse postchirurgicale. Ce médicament semble également efficace dans la prévention des accidents thromboemboliques de la fibrillation auriculaire.
Le rivaroxaban, anti-X-a direct, est aussi promis à un bel avenir.
Le prasugrel, de la famille des thiénopyridines et le cangrélor sont de nouveaux inhibiteurs des récepteurs P2Y – le prasugrel, dont la pharmacologie comporte une amélioration majeure comparativement au clopidogrel, en ce sens que les principes actifs ont directement accès aux récepteurs sans délai, ce qui permet d’avoir une variation d’activité interindividuelle et un délai d’action moindres. La contrepartie de cette meilleure efficacité est qu’elle est grevée d’une tolérance diminuée en termes de saignements. Dans la prévention des thromboses de la fibrillation auriculaire, une place est à prendre entre l’aspirine et les antivitamines K, avec un minimum de surveillance biologique. Toutefois, les traitements classiques ainsi que l’aspirine ont encore de beaux jours devant eux.
Troubles du rythme
Beaucoup de retard a été accumulé dans ce domaine, à cause des déconvenues observées avec les antiarythmiques de classe I, puis de classe III lorsqu’il s’est avéré que le substrat proarythmogène qu’on induisait ainsi exposait les patients à un surcroît de mortalité. Pourtant, les besoins sont criants dans ce domaine. En effet, la prévalence de la fibrillation auriculaire augmente avec le vieillissement de la population et son traitement est toujours accompagné d’une efficacité très moyenne, d’une sécurité d’emploi et d’une tolérance loin d’être optimales.
L’amiodarone, ayant fait la preuve qu’elle n’augmentait pas la mortalité dans l’insuffisance cardiaque, est devenue l’antiarythmique de choix dans cette affection. Il semblerait en effet qu’un antiarythmisant « multibloqueur » (comme l’amiodarone qui bloque les canaux potassiques, sodiques et calciques avec une action bêtabloquante) présente moins de risques qu’un bloqueur spécifique des canaux potassiques ou sodiques. Toutefois, la fréquence d’abandon du traitement par l’amiodarone pour mauvaise tolérance est relativement élevée, du fait de son accumulation tissulaire.
Tout un assortiment de dérivés de l’amiodarone, mais sans iode, est actuellement en développement, à commencer par la dronédarone. Bien qu’elle présente une homonymie avec la précédente, elle en diffère par son effet de classe III plus marqué.
La dronédarone est efficace et bien tolérée en l’absence d’insuffisance cardiaque, et devrait être bientôt sur le marché si les avis convergent sur sa sécurité d’emploi dans l’insuffisance cardiaque. La célivarone suit de très près, ainsi que l’ATI-2042, analogue de l’amiodarone avec une demi-vie très courte, qui ne devrait pas être associée à une accumulation tissulaire.
Entre les « mutibloqueurs » (amiodarone) et les « monobloqueurs », dont les principaux représentants sont le dofétilide et le d-sotalol, existe toute une série de composés qui bloquent l’un et l’autre des canaux avec différents degrés de puissance :
- l’azimilide par exemple, bloque les deux composantes rapide (IKr) et lente (IKs) du courant potassique repolarisant de phase 3, mais voit son efficacité diminuer avec la succession des études cliniques et sa proarythmogénicité augmenter parallèlement ;
- la ranolazine, qui est un bloqueur des canaux sodiques tardifs permettant l’inhibition de la surcharge cellulaire calcique, bloque aussi le courant IKr et est en train de passer du statut d’antiangineux à celui d’antiarythmique potentiel, ce qui n’est pas sans rappeler le parcours de l’amiodarone !
- le vernakalant est proche de sa mise sur le marché. L’indication de ce médicament injectable sera la réduction de la fibrillation auriculaire en « aigu ». Bien que ses propriétés soient relativement étendues de l’oreillette au ventricule, il semble exister un certain degré de spécificité auriculaire qui explique son efficacité. Dans la mesure où ce médicament sera employé en secteur hospitalier, sa sécurité d’emploi semble assez bonne.
Les bloqueurs spécifiques de canaux potassiques atriaux ont un développement très intéressant et prometteur. Ils augmenteraient spécifiquement les périodes réfractaires auriculaires en épargnant les ventricules. Le courant IKur (pour ultra rapide) généré par les canaux Kv1.5 est généralement la cible de ces composés. À part le vernakalant, qui le bloque mais qui bloque aussi les canaux sodiques et IKr, nous trouvons différents composés comme le XEN-D0101/2, le S9947 ou l’AVE0118. Toutefois, la difficulté du développement de ces composés est grande : il faut en effet prouver, contrairement à ce qui a été observé avec les bloqueurs d’IKr ou d’INa, que le blocage isolé d’IKur n’entraîne pas d’augmentation de mortalité chez le patient. Seul un profil de sécurité proche de celui de l’amiodarone en cas de fonction cardiaque détériorée peut y répondre. Nous suivrons donc avec intérêt le devenir de ces bloqueurs d’IKur.
Les bloqueurs d’IKACh, qui est un courant repolarisant stimulé par l’acétylcholine, devraient prolonger le potentiel d’action auriculaire par ce mode d’action original, avec toutefois le risque potentiel de faciliter le passage de l’influx électrique des oreillettes aux ventricules.
Enfin, pour freiner les influx au niveau de cette même jonction, deux composés en cours de développement, le técadénoson et le sélodénoson, sont deux nouveaux agonistes des récepteurs de l’adénosine à utiliser dans le traitement des tachycardies supraventriculaires paroxystiques.
Perspectives thérapeutiques
Dans l’hypertension artérielle, une proportion non négligeable des patients n’est pas compliante dans le suivi de leur traitement, bien que les médicaments en question ne nécessitent qu’un nombre de prises et une adaptation de posologie limitée. Un effort particulier devra être fait pour prévenir les maladies cardiovasculaires dans ce contexte, en améliorant l’hygiène de vie. Quand cela n’est plus possible, les traitements doivent être suivis correctement pour diminuer l’incidence des affections cardiaques. Enfin, quand les traitements classiques ont atteint leurs limites, ou devant l’émergence de nouvelles priorités de santé publique dans ce domaine, les nouveaux traitements devraient trouver leur place naturelle avec un rapport bénéfice/risque augmenté.
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