Publié le 30 jan 2007Lecture 7 min
Place de la troponine T dans le syndrome coronaire aigu
G. LEFEVRE, biologiste, Hôpital Tenon, Paris
Le point de vue du biologiste et du cardiologue.
Le point de vue du biologiste
G. Lefevre, biologiste, hôpital Tenon, Paris
Caractéristiques biochimiques de la troponine T
Les troponines sont des protéines myofibrillaires régulant la contraction cardiaque présentes dans les cellules striées du muscle squelettique. En pratique cardiologique, seuls les dosages des isoformes cardiaques I et T sont intéressants(1). Il existe trois isoformes, deux dans le muscle squelettique et une dans le muscle cardiaque qui a environ 60 % d’homologie avec la TnT musculaire. Les troponines I (TnIc) et T (TnTc) ne sont libérées qu’après activation des protéases intracellulaires lors de l’ischémie ou de la nécrose myocardique. Dans ce dernier cas, elles présentent une cinétique de libération plus tardive que la myoglobine mais possèdent une spécificité d’organe élevée (figure)(3). La TnTc serait libérée plus lentement à cause de sa liaison forte à l’actine(4). Sa concentration intracardiaque est plus importante que celle de la TnIc. Ce dosage s’est imposé comme la référence dans le diagnostic des nécroses myocardiques, quelle que soit leur étiologie.
Dosage de la troponine T
Les dosages des marqueurs cardiaques font appel à différentes technologies basées sur l’utilisation d’anticorps monoclonaux. Chez les sujets indemnes de pathologie cardiaque, les valeurs de la TnTc sont < 0,01 mg/L, ce qui correspond au 99e percentile de la population de référence. Qu’ils soient effectués dans les laboratoires centraux ou au lit du patient, la vitesse de réalisation des dosages (12 à 18 mn) est compatible avec l’urgence. Selon les recommandations américaines, le temps écoulé entre le prélèvement et la disponibilité des résultats pour le clinicien ne doit pas excéder 1 heure(4). L’immunodosage de la troponine est délicat, principalement en raison de sa faible concentration plasmatique chez le sujet normal et de ses multiples formes circulantes(2). Les faibles différences entre les isoformes cardiaques et musculaires expliquent la difficulté d’obtenir des anticorps totalement cardiospécifiques et la fréquence des « faux positifs » rencontrés avec la première génération de dosage(3). Ce problème a été résolu par le changement de la formulation du dosage de la TnTc tel qu’il est actuellement réalisé(5) (éliminé dès la 2e génération).
L’élaboration d’un nouveau matériel de référence, le SRM 2921, va permettre également une standardisation des dosages des troponines I et T qui amènera probablement une réduction de l’hétérogénéité des résultats et limitera les différences intertechniques(6). La TnTc n’étant commercialisée que par un seul fournisseur (Roche Diagnostics), les résultats sont comparables partout pour le patient ou lors d’une étude multicentrique.
Cinétique d’évolution des concentrations sanguines des marqueurs cardiaque lors d’un infarctus du myocarde.
Étapes du dosage de la troponine T
Le dosage des troponines est maintenant l’étalon or (gold-standard) pour la détection des atteintes myocardiques. Il possède une spécificité et une sensibilité diagnostiques élevées de l’atteinte cardiaque, la concentration sanguine de troponine pouvant rester élevée plusieurs jours après le début des symptômes. Il est essentiellement utilisé dans le diagnostic des syndromes coronaires aigus (SCA), le pronostic des affections cardiaques d’origine ischémique et l’appréciation des dommages cardiaques quelles que soient leurs étiologies.
• Stade préanalytique : le dosage du TnTc peut être réalisé sur sérum ou plasma (EDTA ou héparine) à partir de 15 mL de prélèvement.
• Stade analytique : avec le dosage de la TnTc de 4e génération, les réactions croisées entre les différentes formes de la troponine T sont < 0,01 %. Une valeur de la TnTc vérifiée comme normale (valeur < 0,01 mg/L) exclut toute pathologie cardiaque. À noter que la cinétique de la TnTc ne peut être exploitable avec une bonne sensibilité diagnostique que si un délai d’au moins 3 à 4 heures s’est écoulé depuis le début des douleurs (100 % de sensibilité à 12 h pour un seuil à 0,03 mg/L).
Pour le diagnostic du SCA en urgence, la troponine peut être utilisée en association avec la myoglobine dans les 12 heures suivant le début des douleurs. En cas d’impossibilité de la doser, l’utilisation de la CKMB masse peut être une alternative. Dans le cadre du pronostic du SCA, seule la troponine doit être utilisée à l’exception des autres marqueurs cardiaques de nécrose.
• Stade postanalytique : le contrôle de qualité des troponines doit pouvoir apprécier au maximum la précision du test dans la zone de valeurs décisionnelles. L’utilisation d’un échantillon de contrôle de concentration la plus proche possible du seuil décisionnel est recommandée.
Le point de vue du cardiologue
C. Dubois, clinique Ambroise Paré, Neuilly-sur-Seine
Deux groupes de syndromes
L’infarctus du myocarde et l’angor instable sont la traduction clinique de lésions anatomiques communes, à savoir la rupture ou l’érosion de plaques d’athérosclérose compliquées soit d’embolies distales, soit de thromboses coronaires. Deux groupes de SCA conduisant à des attitudes thérapeutiques différentes ont été définis :
• les patients avec douleur thoracique et surélévation persistante du segment ST témoignant le plus souvent d’une occlusion coronaire totale aiguë. L’objectif thérapeutique est alors la reperméabilisation rapide, soit par fibrinolyse, soit par angioplastie ; les deux méthodes pouvant être associées ;
• les patients ayant eu ou ayant des douleurs thoraciques associées à des modifications électrocardiographiques (sous-décalage ST, inversion des ondes T, pseudo-normalisation de l’onde T, etc.) sans sus-décalage persistant du segment ST, chez lesquels les dosages enzymatiques, et en particulier celui de la troponine T, vont guider la thérapeutique.
Syndrome coronaire aigu avec surélévation du segment ST(7)
Le dosage de la troponine T, comme celui des autres marqueurs de souffrance myocardique, ne participe pas au diagnostic d’occlusion coronaire. Lors de la prise en charge du patient, les dosages ne doivent pas retarder la reperfusion coronaire qui est mise en œuvre sans attendre les résultats. Le dosage répété de la TnTc trouve son intérêt :
• en mesurant l’aire sous la courbe sur 24 ou 48 heures qui donne un reflet de la masse myocardique nécrosée. Après revascularisation, il apparaît le plus souvent un pic témoignant du lavage de la zone intéressée puis une redescente rapide ;
• dans les dosages tardifs, la persistance d’une élévation, même minime, semble de mauvais pronostic.
Dans ce cadre nosologique, le dosage de la TnTc ne participe donc pas au diagnostic mais plutôt au pronostic : masse myocardique nécrosée, persistance d’une souffrance myocardique. Il est bien évident que cet examen ne se substitue pas aux études échocardiographiques, statistiques ou dynamiques.
Syndrome coronaire aigu sans surélévation du segment ST(8)
Dans ce cadre, le dosage de la troponine T participe activement au diagnostic, aux décisions thérapeutiques et à l’évaluation du pronostic de la maladie coronaire.
• Phase diagnostique : le taux de TnTc peut être faussement normal si celui-ci est réalisé précocement (moins de 3 à 4 h après le début des symptômes), un deuxième dosage est alors nécessaire. Sa normalité exclut toute pathologie cardiaque en cours.
• Décisions thérapeutiques : de nombreux essais ont démontré que les patients avec une troponine élevée bénéficient non seulement de l’introduction précoce d’agents antiplaquettaires mais également d’héparine de bas poids moléculaire ou d’anti-GP-IIb/IIIa ou encore de stratégie invasive, ce bénéfice n’étant pas démontré chez les patients ne présentant pas d’élévation de la troponine.
• Pronostic(9) : les patients chez lesquels on mesure une élévation importante de la TnTc ont un pronostic clinique à court, moyen et long termes défavorable notamment avec un risque plus élevé de récidive d’infarctus du myocarde, de réhospitalisation ou de décès d’origine cardiaque. Ce dernier risque est étroitement corrélé au degré d’élévation de la TnTc et particulièrement à l’augmentation de l’aire sous la courbe construite à partir de l’évolution des différents dosages. Il est indépendant des modifications de l’ECG ou des autres facteurs de risque classiques. Il est également indépendant des marqueurs de l’inflammation : ainsi l’élévation de la TnTc et celle de la protéine C réactive sont fortement liées de sorte qu’elles constituent des facteurs de risque indépendants mais qui s’additionnent.
L’étude TACTICS-TIMI 18(10), ayant inclus 2 220 patients présentant un SCA sans élévation du segment ST, a récemment démontré ces faits. Deux groupes ont été randomisés : l’un a bénéficié d’une revascularisation précoce (4 à 48 h), l’autre d’un traitement médical suivi en cas de stabilisation d’une épreuve d’effort avant la sortie de l’hôpital. Le critère principal de l’étude était composite : mortalité, infarctus du myocarde ou réhospitalisation pour SCA dans les 6 mois.
Les patients ayant une élévation même minime de la TnTc (> 0,1 mg/L) ont bénéficié de la stratégie invasive (46 % du critère principal), ainsi que ceux ayant un taux peu élevé (0,1-0,4 mg/L) à 30 jours. En revanche, ceux ayant des taux < 0,1 mg/L n’ont pas été améliorés.
Ainsi, dans le cadre du SCA sans élévation du segment ST, le dosage répété de la troponine T est indispensable à la bonne prise en charge de ces patients.
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