Publié le 08 mai 2007Lecture 5 min
Résistance aux antiagrégants plaquettaires - Réalité et pertinence clinique
P. SABOURET, groupe hospitalier Pitié Salpêtrière, Paris
ACC
Bien que la définition de la résistance à l’aspirine repose sur la combinaison d’un événement clinique ischémique athérothrombotique et des résultats d’agrégabilité plaquettaire in vitro, il n’y a pas, en dehors de ce contexte précis, de relation clairement établie entre les résultats des différents tests d’agrégabilité plaquettaire et les événements cardiovasculaires majeurs (ECM), en raison d’une faible valeur prédictive positive (VPP) des tests actuellement disponibles.
La résistance à l’aspirine se définit par la survenue d’un événement athérothrombotique majeur sous traitement par aspirine avec une agrégabilité plaquettaire < 50 %. Dans ce cas de figure, les dernières recommandations américaines préconisent le traitement par clopidogrel à une posologie de 75 à 150 mg par jour.
Variabilité de la réponse aux antiagrégants plaquettaires
L’aspirine
La variabilité de la réponse biologique des patients au traitement par aspirine a été bien évaluée (Yee et al. Blood 2005 ; 106 : 2723-9, Trip et al, New Engl J Med 1990 ; 322 : 1549-54). Cependant la relation entre la variabilité de réponse à l’aspirine et la survenue d’événements athérothrombotiques majeurs est suspectée mais incomplètement établie (Grotemeyer, Thomb Res 1993 ; 71 : 397-402 ; Gum, Am J Cardiol 2001 ; 88 : 230-5, Eikelboom, Circulation 2002 ; 105 : 1650-3). Par conséquent, la question de savoir s’il s’agit d’une relation causale ou d’une association reste posée.
Le clopidogrel
Augmenter la dose de charge ?
La variabilité de la réponse après une dose de charge de clopidogrel a été plus récemment rapportée (Serebruany, J Am Coll Cardiol 2005, O’Donoghue, Circulation 2006) sur différents tests biologiques (LTA : light transmission agregometry, WBA : whole blood agregometry, Point of Care Assay). Là encore, une relation avec les événements athérothrombotiques reste à démontrer, même si trois étude récentes vont dans ce sens (SCRIPPS clinic, RECLOSE et EXCELSIOR). Pour répondre à cet écueil, la dose de charge optimale du clopidogrel a été déterminée à 600 mg, notamment grâce aux travaux de G. Montalescot et J.-P. Collet, confirmés par d’autres études (études ALBION, ISAR-CHOICE), complétée éventuellement, selon certains experts, par une deuxième dose de charge en cas de réponse insuffisante sur les tests biologiques, avec maintien d’une dose journalière de 150 mg si les études en cours valident cette stratégie thérapeutique.
Une évaluation randomisée de la dose de charge
Une étude clinique récente a objectivé une réponse biologique incomplète au clopidogrel, qui peut être corrigée par une nouvelle dose de charge de 300 mg puis le maintien à une posologie de 150 mg par jour. Une étude randomisée est prévue pour juger de la pertinence de cette stratégie thérapeutique en termes d’impact sur les ECM. Cette étude randomise 200 patients présentant un infarctus du myocarde avec revascularisation percutanée, qui vont bénéficier, après une dose de charge de 300 mg de clopidogrel, d’un test d’agrégabilité plaquettaire par agrégométrie utilisant comme agoniste l’adénosine diphosphate (ADP), en divisant les patients en répondeurs à la dose de charge de clopidogrel (avec une activation plaquettaire sous ADP < 80 %), et en non-répondeurs « biologiques » si la réponse sous ADP est ≥ 80 %, avec diminution de l’expression de la P-sélectine. Ces derniers patients bénéficient alors d’une nouvelle dose de charge de clopidogrel à 300 mg, suivie d’une dose d’entretien de 150 mg pendant un mois.
Activité plaquettaire et nouveaux antiagrégants plaquettaires
Les plaquettes jouent un rôle central dans l’athérothrombose, cause principal de morbi-mortalité dans le monde.
De nombreux récepteurs plaquettaires ont été identifiés, notamment le P2Y12, dont la modulation est fondamentale, puisque ce récepteur peut être régulé par le clopidogrel, le prasugrel, l’AZD 6140 ou le cangrelor.
Le clopidogrel demeure le chef de file des antiagrégants plaquettaires, dont l’action porte sur le récepteur P2Y12, compte tenu de l’éventail de preuves cliniques lors de grandes études randomisées (CURE, CURE-PCI, CAPRIE, CREDO, COMMIT, CLARITY…), avec des bénéfices particulièrement marqués chez les patients à très haut risque vasculaire (patients diabétiques coronariens, polyvasculaires). L’étude CURRENT-OASIS 7 permettra d’évaluer les bénéfices du clopidogrel à la dose de 150 mg de J2 à J7 puis à 75 mg de J8 à J30 au décours d’un SCA.
Le cangrelor, par voie intraveineuse, complète l’action du clopidogrel au niveau du récepteur P2Y12, pour, semble-t-il, obtenir une inhibition optimale de l’agrégation plaquettaire (Barragan et al, Cath Cardiov Int 2003).
Le prasugrel est un antiagrégant en phase III de son développement, évalué lors des revascularisations percutanées réalisées lors des syndromes coronariens aigus (SCA). Sur le plan biologique, une posologie de prasugrel de 60 mg équivaut à 300 mg de clopidogrel.
Cependant, aucun bénéfice clinique n’a été démontré comparativement au clopidogrel (étude JUMBO-TIMI 26) ni en termes de réduction des événements ischémiques, ni sur le profil de tolérance. L’étude TRITON TIMI-38 est donc une étude randomisée qui compare le prasugrel, à la dose de charge de 60 mg puis à une dose d’entretien de 10 mg par jour, au clopidogrel à la dose de charge de 300 mg suivie d’une dose d’entretien habituelle de 75 mg par jour dans les syndromes coronariens aigues (angor instable ou infarctus du myocarde (IDM) avec sus-décalage du segment ST).
L’AZD 6140 est un inhibiteur réversible du récepteur P2Y12, sans transformation nécessaire en métabolite actif pour agir sur sa cible. Ce profil, en apparence séduisant, est terni par la constatation d’un surcroît d’épisodes de dyspnée et de pauses ventriculaires (> 2 500 ms), qui pourraient s’expliquer par une stimulation de l’adénosine (étude DISERSE-2). L’étude randomisée PLATO est en cours pour comparer l’AZD 6140 à la dose de charge de 180 mg suivie d’une dose quotidienne de 90 mg au clopidogrel à la dose de charge de 300 mg suivie d’une posologie de 75 mg par jour.
Au total
On constate donc que le chemin est encore long pour obtenir un antiagrégant qui apporterait des bénéfices additionnels à ceux apportés par le clopidogrel.
Tout nouvel antiagrégant plaquettaire devra soit :
- démontrer un bénéfice additionnel en termes d’événements athérothrombotiques à l’association aspirine + clopidogrel sans surcroît d’événements hémorragiques (exemple des anti-GP IIb-IIIa),
- s’avérer supérieur à une de ces deux molécules, dont les bénéfices cliniques ont été démontrés chez un large éventail de patients à haut risque athérothrombotique.
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