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Thérapeutique

Publié le 10 avr 2007Lecture 5 min

Soins dentaires chez le patient cardiaque : modifier nos pratiques du relais des anticoagulants

B. IUNG, hôpital Bichat, Paris


Les Journées européennes de la SFC
Lors des dernières Journées européennes de la société française de cardiologie (SFC), s’est tenue pour la première fois une session conjointe entre la SFC et la Société francophone de médecine buccale et de chirurgie buccale (SFMBCB) afin de présenter les nouvelles recommandations communes concernant les soins dentaires sous traitement anticoagulant. Ces recommandations sont accessibles sur le site http://www.societechirbuc.com/Recommandations/recommandations_avk.pdf.

Le problème des soins dentaires est particulièrement important en pratique chez les patients porteurs d'une prothèse mécanique. Si l'antibioprophylaxie fait l'objet de recommandations précises, ce n'était pas le cas jusqu'alors pour le traitement anticoagulant. L’attitude la plus souvent adoptée en pratique courante était d’arrêter le traitement anticoagulant oral et d'effectuer un relais par l’héparine. De nombreux arguments suggèrent désormais que ces pratiques doivent être modifiées.   Différentes modalités du traitement anticoagulant lors de soins dentaires   Arrêt du traitement anticoagulant oral sans relais L'arrêt des antivitamines K sans substitution par l'héparine a l'avantage de la simplicité et de la minimisation du risque hémorragique. Cette attitude est peu répandue en France, mais elle est explicitement mentionnée dans les recommandations ACC/AHA sur la prise en charge des valvulopathies, chez les patients présentant une prothèse mécanique et dont le risque thromboembolique est faible (prothèses aortiques à double ailette, en rythme sinusal, sans antécédent embolique). Dans cette situation, le risque embolique inhérent à l'arrêt du traitement anticoagulant sans relais est estimé à 0,1 % pour trois jours d'arrêt, ce qui ne justifie pas de relais héparinique systématique selon les auteurs. Ces recommandations sont toutefois très contestables car elles reposent sur des extrapolations à partir d'études anciennes comportant des patients porteurs de prothèse mécanique ne recevant pas de traitement anticoagulant. Ces études incluaient des pa-tients dont le risque thromboembolique était extrêmement faible, en particulier des patients jeunes, dont les caractéristiques ne correspondent pas aux patients ayant eu un remplacement valvulaire prothétique dans les pays occidentaux à l'heure actuelle. Ces réserves sont confortées par des études qui, bien que peu nombreuses et regroupant des patients à risque hétérogène, font état d'un risque thromboembolique nettement plus élevé en pratique. Dans le cas des extractions dentaires, l'arrêt des antivitamines K sans relais était grevé de 1 % de complications thromboemboliques dans une série de 542 procédures. Lorsque l'on considère l'ensemble des procédures interventionnelles, une revue publiée en 2004 a rapporté un taux de 1,6 % d'accidents thromboemboliques sur un total de 1 868 patients.   Arrêt du traitement anticoagulant avec relais par l'héparine Cette stratégie présente l’intérêt de limiter la période durant laquelle le patient ne reçoit aucune anticoagulation. Compte tenu de la demi-vie courte de l'héparine, il est possible de réduire cette durée aux 8 à 12 heures encadrant l'intervention. Lorsque l'arrêt du traitement anticoagulant est indispensable, les recommandations récentes de la Société européenne de cardiologie sur la prise en charge des valvulopathies préconisent un relais systématique par l'héparine et favorisent le recours à l'héparine non fractionnée. En effet, les héparines de bas-poids moléculaire (HBPM) n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché dans cette indication en l'absence d'étude contrôlée, alors que plusieurs études observationnelles récentes suggèrent qu’elles peuvent être utilisées. Lorsque les HBPM sont utilisées dans cette indication, il est nécessaire de les prescrire à dose curative à raison de deux injections par jour, si possible en surveillant l'efficacité sur l'activité anti-Xa. Le principal inconvénient du relais par l’héparine est sa complexité. De fait de la demi-vie des antivitamines K, il est nécessaire de les arrêter 3 à 5 jours avant le geste interventionnel, de débuter l’héparine lorsque l’INR est inférieur à la zone thérapeutique, puis de reprendre le traitement par l'héparine après le geste interventionnel jusqu'à ce que l’INR soit à nouveau en zone thérapeutique. La durée totale de ce processus représente en général une huitaine de jours et génère des consultations multiples ou des hospitalisations prolongées. Si ce n'est pas un problème majeur pour des interventions lourdes qui nécessitent un séjour hospitalier prolongé, ces contraintes sont plus difficilement acceptables lorsque l'intervention peut être effectuée en ambulatoire. En outre, même avec une surveillance étroite, la période de relais comporte toujours un risque thromboembolique et hémorragique.   Poursuite des antivitamines K Lorsque l'intervention comporte un risque hémorragique faible et/ou facilement contrôlable en raison de son caractère superficiel, il est possible d'effectuer l'intervention sous traitement anticoagulant oral. Cette stratégie thérapeutique présente les avantages d'une plus grande simplicité que le relais par l'héparine et d'une prévention optimale du risque thromboembolique. Elle semble également être associée à un risque hémorragique faible si les précautions sont respectées. Ainsi, dans une série de 2 014 procédures, dont 1 964 extractions dentaires, effectuées chez 774 patients, des complications hémorragiques sévères ne sont survenues que dans 1,5 % des cas, dont plus de la moitié étaient dus à une anticoagulation excessive. Une équipe française a récemment rapporté une série de 2 389 patients ayant eu des extractions dentaires. Seuls deux d'entre eux (0,1%) ont eu une complication hémorragique majeure. Le taux de réinterventions était de 1,4 % et la plupart étaient effectuées en ambulatoire.   Stratification du risque L’attitude en cas d'intervention chez un patient porteur d'une prothèse mécanique doit être soigneusement planifiée entre les différents intervenants afin d'adapter les modalités du traitement au risque thromboembolique du patient et au risque hémorragique de la procédure. Les patients à faible risque thromboembolique, qui sont les porteurs de prothèse à double-ailette en rythme sinusal sans antécédent embolique ont une cible d’INR entre 2 et 3. Des procédures peuvent être effectuées avec une cible d’INR autour de 2 sans arrêt des antivitamines K. Les patients dont le risque thromboembolique est accru, en particulier en cas de prothèse mitrale mécanique, ont un INR cible en général de [2,5-3,5] ou [3-4,5], ce qui peut limiter les gestes pouvant être effectués sous antivitamines K. Toutefois, dans le cas des soins dentaires, de nombreuses procédures peuvent être effectuées avec des INR jusqu'à 3,5. Le risque hémorragique de la procédure doit bien évidemment être pris en compte. Les recommandations communes SFMBCB/SFC détaillent les risques inhérents aux différents types de soins dentaires et mentionnent les rares cas pour lesquels le risque hémorragique demeure élevé et peut nécessiter un relais des antivitamines K par l’héparine.   Un travail d’équipe Outre la prise en compte des caractéristiques du patient et du type de soin dentaire, les recommandations soulignent l’importance du respect de certaines précautions : - contact préalable entre le responsable du suivi du traitement anticoagulant et le praticien de chirurgie bucco-dentaire, - INR dans les 24 heures précédant l'intervention, - utilisation de techniques d'hémostase locale, - informations concernant les services d'odontologie ou de stomatologie d'astreinte en cas de complications, - conduite à tenir en cas de saignement local, etc.   En conclusion L'élaboration de recommandations communes privilégiant la poursuite des antivitamines K sous certaines conditions est une avancée majeure dans la collaboration entre les praticiens de médecine et chirurgie buccale et les cardiologues. Cette session multidisciplinaire est une première étape. Il reste encore beaucoup de travail pour diffuser ces recommandations et vaincre les réticences afin qu'elles soient appliquées.

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