Publié le 15 fév 2005Lecture 4 min
Thromboses postopératoires précoces après remplacement valvulaire mitral : que faut-il retenir de l'expérience française ?
R. ROUDAUT, CHU de Bordeaux, Pessac
En dépit des progrès réalisés en matière de biocompatibilité et d’hémodynamique des prothèses valvulaires mécaniques, le risque thromboembolique demeure et est accru en phase postopératoire précoce.
Le risque thromboembolique est évalué par Butchart (Circulation 1991 ; 84 III : 61-9) à 16 % années/patient en position aortique et 21 % années/patient en position mitrale dans le premier mois postopératoire. Il tombe à 1,4 % en position aortique et 2,5 % en position mitrale au-delà du 6e mois.
Plusieurs équipes françaises se sont attachées, à la suite de M.-C. Malergue (Arch Mal Cœur Vaiss 1992 ; 85 : 1299-304), à évaluer par ETO la fréquence de ces thromboses postopératoires précoces. Les équipes rapportent une incidence de l’ordre de 10 % ; il s’agit généralement de thromboses de petite taille non obstructives.
Physiopathologie
La physiopathologie de ces thromboses non obstructives précoces fait appel à la fameuse triade de Virchow : attrition tissulaire en zone périvalvulaire, hypercoagulabilité, stase sanguine. En phase postopératoire, les plaquettes sont activées au contact de la prothèse et du pourtour désendothélialisé.
L’activation du système de coagulation par l’attrition tissulaire rend l’anticoagulation postopératoire difficile et instable ; ce phénomène est aggravé par l’inflammation fréquemment associée.
L’étude de B. Iung (J Heart Valve Dis 1993 ; 2 : 259-66) a mis en évidence une relation entre les événements thromboemboliques postopératoires et la présence d’un contraste spontané de l’oreillette gauche et de filaments de fibrine (strands) au niveau de la prothèse. Ces petits échos anormaux étaient eux-mêmes d’autant plus fréquents que l’anticoagulation postopératoire était insuffisante.
Dans notre expérience (Bémurat L. Echocardiography 1999 ; 16 : 343-51), nous retrouvons également une corrélation entre les thromboses précoces et une anticoagulation insuffisante, et ce malgré un protocole d’anticoagulation postopératoire très rigoureux dans notre centre.
Prévention
De plus, depuis de nombreuses années dans notre centre, la découverte d’un syndrome inflammatoire important en phase postopératoire précoce conduit à la prescription d’un anti-inflammatoire.
Afin de déterminer l’intérêt de l’association de faibles doses d’aspirine au traitement anticoagulation conventionnel, nous avons entrepris dans notre centre une étude randomisée en phase postopératoire précoce après remplacement valvulaire mitral (Laffort P. J Am Coll Cardiol 2000 ; 35 : 739-46) comparant deux groupes de patients :
• ceux traités par les AVK seuls, aux posologies recommandées pour les prothèses mitrales INR cible 3,5 ;
• ceux traités par l’association AVK à la même posologie et aspirine 200 mg/j, l’aspirine étant débutée le lendemain de l’opération.
Cette étude a confirmé la supériorité du bras thérapeutique AVK + aspirine en termes de réduction des thromboses précoces, détectées par ETO à J9. Cependant, le suivi à 1 an montre un taux significativement plus élevé de complications hémorragiques dans ce groupe comparativement au groupe sans aspirine.
L’adjonction d’aspirine est donc à double tranchant :
• diminution des événements thromboemboliques,
• recrudescence des hémorragies.
- Au total, l’adjonction d’aspirine en phase postopératoire précoce ne semble pas devoir être systématique, en tout cas sur une période prolongée.
- L’aspirine peut être utile, en particulier s’il existe des facteurs de risque de thrombose associés (syndrome inflammatoire, FA, etc.).
- Si l’aspirine est utilisée, il faut préférer les petites doses (de l’ordre de 100 mg) sur une période courte (3 mois).
Quel traitement proposer ?
Faute de recommandations internationales, nous disposons pour répondre à cette question de quelques travaux de la littérature (Guéret P. Circulation 1995 ; 91 : 103-10 ; Iung B. Circulation 1999 abstract ; Laplace G. J Am Coll Cardiol 2004 ; 43 : 1283-90) qui permettent de dégager les principaux points suivants.
Une thrombose obstructive (exceptionnelle) relève de la chirurgie.
En ce qui concerne les thromboses non obstructives, il faut opposer sur les plans pronostique et évolutif, les thromboses volumineuses (≥ 10 mm) souvent compliquées (embolie ou obstruction), et les thromboses de plus petite taille (< 10 mm) dont l’évolution est beaucoup plus simple (figures 1, 2 et 3).
Figure 1. Thrombus non obstructif de 7 mm de long implanté sur la face auriculaire d’une prothèse mécanique mitrale.
Figure 2. Thrombus non obstructif annulaire mis en évidence de part et d’autre de l’anneau mitral.
Figure 3. Volumineux thrombus non obstructif pédiculé mobile (17 mm de longueur) mis en évidence sur la face auriculaire d’une prothèse mitrale à double ailettes.
- La conduite à tenir face à une thrombose de petite taille est avant tout une optimisation du traitement anticoagulant si celui-ci n’est pas suffisant. L’adjonction de faibles doses d’aspirine pour quelques mois peut être discutée.
- Les thrombi volumineux doivent conduire à une attitude plus agressive :
• réintroduction de l’héparine,
• association de faibles doses d’aspirine,
• surveillance « armée » par ETO jusqu’à disparition du thrombus.
Chez les patients présentant un syndrome inflammatoire important, nous utilisons facilement dans notre centre des anti-inflammatoires non stéroïdiens. L’extension du caillot doit faire discuter une chirurgie a fortiori s’il est pédiculé, mobile, voire obstructif. Par contre, dans ce contexte postopératoire précoce, la fibrinolyse n’a a priori aucune place.
En conclusion
L’incidence des thromboses précoces après remplacement valvulaire mitral par prothèse mécanique est de l’ordre de 10 % ; elles sont en règle non obstructives.
Les études récentes permettent de mieux comprendre le mécanisme des thromboses précoces après remplacement valvulaire mitral par prothèse mécanique, qui est essentiellement une anticoagulation insuffisante dans un contexte de stase et d’inflammation.
La prévention est donc basée avant tout sur une anticoagulation optimale pendant cette période instable, éventuellement associée pour 3 mois à 100 mg d’aspirine, a fortiori s’il existe des facteurs de risque de thrombose associés.
La prise en charge thérapeutique des thromboses non obstructives consiste, pour les petits caillots, à optimiser le traitement anticoagulant et, pour les plus gros, à réintroduire de l’héparine souvent associée à l’aspirine. Dans ces cas, une surveillance « armée », par ETO, doit être réalisée jusqu’à disparition du caillot.
L’extension du caillot doit faire discuter une chirurgie, a fortiori s’il est pédiculé mobile, voire obstructif.
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