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Insuffisance cardiaque

Publié le 08 nov 2005Lecture 8 min

Troubles respiratoires du sommeil chez l'insuffisant cardiaque

J.-L. PÉPIN, R. TAMISIER et P. LÉVY, EFCR et Laboratoire du sommeil CHU de Grenoble ; laboratoire HP2 EA 3745 (Hypoxie-Pathophysiologie) ; INSERM ESPRI 3745 Université Joseph Fourier, Grenoble

L’insuffisance cardiaque est une maladie extrêmement fréquente dont le pronostic reste sombre malgré de récentes avancées thérapeutiques. Les anomalies respiratoires nocturnes, apnées obstructives ou respiration périodique, sont présentes chez au moins la moitié des patients insuffisants cardiaques. Une stratégie diagnostique de ces anomalies respiratoires, adaptée à cette population, et reposant sur un interrogatoire, une mesure de la PaCO2 diurne et des enregistrements polygraphiques de ventilation doit être systématiquement proposée. La pression positive continue (PPC) est le traitement de référence pour les apnées obstructives. Elle améliore la fonction cardiaque et la qualité de vie des patients. Le traitement de la respiration périodique est plus controversé. Il s’agit tout d’abord d’optimiser la fonction cardiaque et, en cas de persistance de la respiration périodique, de proposer soit de l’oxygène, soit une technique d’assistance ventilatoire nocturne.

Les différents types de troubles respiratoires au cours du sommeil (figure 1) Le syndrome d’apnées du sommeil (SAS) obstructif correspond à des collapsus répétés complets ou incomplets du pharynx avec persistance de mouvements respiratoires, des désaturations en oxygène et une fragmentation du sommeil (figure 1 A). La respiration périodique (RP) ou respiration de Cheyne-Stokes est un comportement ventilatoire qui correspond à une augmentation progressive et crescendo du volume courant suivie d’un decrescendo. La terminaison correspond classiquement à une apnée centrale mais peut parfois être représentée par une hypopnée centrale. La durée du cycle se définit par le temps survenant entre le début du crescendo et le début du crescendo suivant. Le nombre de volumes courants et la durée de l’apnée centrale sont extrêmement reproductibles d’un cycle à l’autre (figure 1 B). L’insuffisance cardiaque entraîne une hyperventilation chronique avec une PaCO2 abaissée, ce qui conduit à une instabilité respiratoire nocturne avec la survenue de nombreuses apnées centrales. Le syndrome d’apnées du sommeil obstructif et la respiration périodique sont les deux anomalies respiratoires nocturnes survenant au cours de l’insuffisance cardiaque. Elles doivent être reconnues car leur prise en charge thérapeutique est différente. Figure 1 A. Syndrome d’apnées du sommeil obstructif. Le syndrome d’apnées du sommeil (SAS) obstructif correspond à des collapsus répétés, complets ou incomplets, du pharynx (flèche) avec persistance de mouvements respiratoires (Poeso) et des désaturations en oxygène. SpO2 : Saturation en oxygène ; Poeso : Pression oesophagienne ; Pn : Pression nasale. Figure 1 B. Respiration périodique. La respiration périodique (RP) ou respiration de Cheyne-Stokes est un comportement ventilatoire qui correspond à une augmentation progressive et crescendo du volume courant suivie d’un decrescendo. La terminaison correspond classiquement à une apnée centrale. SpO2 : Saturation en oxygène ; Poeso : Pression oesophagienne ; Vt : Volume courant. Prévalence des troubles respiratoires nocturnes au cours de l’insuffisance cardiaque L’incidence de l’insuffisance cardiaque est proche de 10 pour 1 000 chez les sujets âgés > 65 ans. L’insuffisance cardiaque correspond au motif d’hospitalisation de près de 20 % des patients admis après 65 ans. Sur les 10 dernières années aux États-Unis, le taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque a augmenté de plus de 150 %. Les dépenses de santé associées sont tout à fait considérables. Malgré l’apparition de nouvelles médications, en particulier des bêtabloqueurs, la stimulation cardiaque, en particulier biventriculaire, la chirurgie coronarienne et la mise en place de suivis multidisciplinaires, le taux d’hospitalisation, la mortalité et l’amélioration fonctionnelle ont été peu modifiés dans le cas de l’insuffisance cardiaque. Le pronostic de l’insuffisance cardiaque symptomatique reste extrêmement médiocre avec une mortalité à 1 an avoisinant 45 %. Dans ces conditions, tous les facteurs associés à l’insuffisance cardiaque, susceptibles de l’aggraver et d’en augmenter la rapidité d’évolution, doivent être intégrés dans la prise en charge. Les anomalies respiratoires nocturnes, et en particulier la respiration périodique, font partie des problèmes cliniques fréquents chez l’insuffisant cardiaque qui doivent être reconnus et très probablement traités. La prévalence des anomalies respiratoires nocturnes au cours de l’insuffisance cardiaque varie selon les études de 40 à 90 %. Elle a probablement été réduite par la prescription plus systématique de bêtabloqueurs. Cependant, on s’accorde pour dire qu’un insuffisant cardiaque sur deux présente une pathologie respiratoire au cours du sommeil. La moitié de ces patients présentent de la respiration périodique, l’autre moitié un SAS obstructif. Il est probable que les anomalies respiratoires survenant au cours du sommeil non seulement accélèrent l’évolution de l’insuffisance cardiaque mais constituent des facteurs de risque indépendants de mortalité précoce. Un insuffisant cardiaque sur deux présente une pathologie respiratoire au cours du sommeil. La moitié de ces patients présentent de la respiration périodique, l’autre moitié un SAS obstructif.   Démarche diagnostique (figure 2) Figure 2. Démarche diagnostique des troubles respiratoires au cours du sommeil dans l’insuffisance cardiaque. Les présentations cliniques du SAS obstructif et de la respiration périodique sont un peu différentes. Le SAS obstructif volontiers obèse a des plaintes à type de ronflement et de somnolence diurne. Les patients porteurs d’une respiration périodique ont plus souvent un poids normal ou bas avec des plaintes d’insomnie, d’endormissement et de dyspnée ou de suffocation nocturne. Il s’agit plus souvent d’hommes en fibrillation auriculaire. Quoi qu’il en soit, ces patients, très asthéniques et essoufflés du fait de leur insuffisance cardiaque évoluée, ne se plaignent pas spontanément de leurs troubles du sommeil. Tout patient insuffisant cardiaque doit être systématiquement interrogé à la recherche d’un ronflement, d’une hypersomnie diurne (échelle d’Epworth) ou de suffocations nocturnes. Par ailleurs, l’existence d’une hypocapnie avec une hyperventilation chronique, une réponse augmentée au CO2 ou un rapport VE/VCO2 élevé à l’effort constituent des éléments favorisant la survenue d’une respiration de Cheyne-Stokes au cours de l’insuffisance cardiaque. Ainsi, chez un insuffisant cardiaque grave et a fortiori si un des éléments cliniques précités est présent, il est tout à fait licite de réaliser une gazométrie sanguine artérielle. L’existence d’une PCO2 < 35 mmHg donne une probabilité de 85 % d’avoir une respiration périodique. Les insuffisants cardiaques subissent fréquemment une épreuve d’effort qui a une valeur pronostique. L’existence d’un rapport VE/VCO2 > 92 % de la valeur prédite augmente de 4 fois le risque d’avoir une respiration périodique de Cheyne-Stokes. À ce stade, un enregistrement oxymétrique de dépistage est tout à fait indispensable. Une étude récente qui comparait, au cours de l’insuffisance cardiaque, les aspects des désaturations selon que les patients étaient porteurs d’une RP ou d’un SAS obstructif a montré que la sensibilité de cet examen est excellente (100 %) mais que sa spécificité est extrêmement faible (17 %) pour séparer SAS obstructif et RP. Ainsi, si l’oxymétrie nocturne est négative on peut arrêter la démarche diagnostique. Si elle est positive, l’objectif est alors de bien différencier les événements centraux et les événements obstructifs ; dans ces conditions, un marqueur supplémentaire d’effort respiratoire est absolument nécessaire : soit une pression nasale soit un temps de transit du pouls à l’occasion d’une polygraphie ventilatoire. L’accessibilité de ce type d’enregistrement (quelques jours à quelques semaines) permet de les proposer à un grand nombre de patients. Tout patient insuffisant cardiaque doit être systématiquement interrogé à la recherche d’un ronflement, d’une hypersomnie diurne (échelle d’Epworth) ou de suffocations nocturnes. Une PaCO2 basse sur les gaz du sang oriente plutôt vers une respiration périodique. L’oxymétrie nocturne est très sensible et permet d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’une anomalie respiratoire nocturne. S’il existe une anomalie quelconque, celle-ci doit être complétée par une polygraphie de ventilation ou une polysomnographie.   Le traitement des troubles respiratoires au cours du sommeil Si le syndrome d’apnées du sommeil est obstructif et parfaitement identifié et caractérisé comme tel, la PPC constitue une indication indiscutable. Elle améliore alors la qualité de vie mais aussi la fonction cardiaque gauche de manière significative (figure 3). Dans le cadre du SAS central, la PPC n’est, en revanche, pas validée. La PPC est très souvent mal tolérée par les patients, avec une observance difficile à obtenir. Son démarrage doit systématiquement se faire en hospitalisation et sans utiliser de pression positive continue autopilotée. Elle est également potentiellement dangereuse, comme le montrent les résultats de la CANPAP. Cette étude, la seule étude présentant un effectif suffisant pour répondre à la question et envisageant les effets de la pression positive continue dans le SAS central associé à l’insuffisance cardiaque, vient d’être arrêtée en raison d’une mortalité supérieure sous PPC par comparaison à un traitement médical optimal seul. Cette étude a inclus 208 patients randomisés entre un traitement médical seul et un traitement médical associé à une pression positive continue par voie nasale (CANPAP). La sévérité des patients était importante, en stade de II à IV de la classification NYHA, avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche de 24,2 %. Une surmortalité précoce et significative sous pression positive continue a conduit à l’arrêt de l’essai. Figure 3. Pression positive continue et SAS obstructif chez l’insuffisant cardiaque. La pression positive continue est pour l’essentiel une attelle pneumatique qui maintient ouverte pendant le sommeil les voies aériennes supérieures. Les coupes tomodensitométriques du pharynx permettent de voir l’agrandissement de calibre pharyngé obtenu avec 10 cm d’H2O ; 70 % des patients utilisent cette thérapeutique avec une moyenne de plus de 4 heures/nuit. Le traitement du SAS obstructif permet, après un mois, une amélioration significative de la fraction d’éjection du ventricule gauche alors que cela ne survient pas dans le groupe de patients soumis à une PPC inefficace (modifié d’après Kaneko et Coll.). Des études préalables avaient montré que, chez les patients porteurs d’une fibrillation auriculaire, l’augmentation progressive des niveaux de pression positive continue pouvait entraîner des baisses de l’index cardiaque très significatives après quelques dizaines de minutes d’utilisation. Cela n’est pas le cas chez des patients en rythme sinusal. La pression positive continue est donc probablement potentiellement dangereuse dans un sous-groupe de patients, elle n’a, par ailleurs, pas fait la preuve de son efficacité au long cours en termes de survie. Le meilleur traitement du SAS central est d’optimiser celui de l’insuffisance cardiaque. Il a par exemple été montré que l’utilisation de pacemakers de resynchronisation chez les patients en insuffisance cardiaque sévère était le meilleur traitement pour réduire l’index apnées-hypopnées centrales survenant au cours du sommeil chez ces patients. Si, après traitement optimal de l’insuffisance cardiaque, persiste une respiration périodique (figure 4), l’oxygénothérapie exclusivement nocturne peut être proposée. D’autres techniques d’assistance respiratoire ont également été démontrées comme efficaces sur de petits groupes de patients. Il s’agit de la ventilation à deux niveaux de pression et de l’aide inspiratoire variable de type Autoset Cs TM. Ces techniques, intéressantes chez certains patients, doivent être mises en place dans des structures entraînées à la prise en charge de ces patients. Figure 4. Arbre décisionnel de la prise en charge thérapeutique de la respiration périodique au cours de l’insuffisance cardiaque. L’intérêt est bien démontré de traiter un SAS obstructif au cours de l’insuffisance cardiaque. L’efficacité de la PPC n’est pas démontrée pour le traitement de la RP au cours de l’insuffisance cardiaque. Les autres techniques d’assistance respiratoires doivent être mises en place par des structures entraînées à cette prise en charge. Une bibliographie sera adressée aux lecteurs sur demande au journal.

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