grippe
Publié le 28 oct 2022Lecture 7 min
Le fardeau caché de la grippe
Propos recueillis par C. LAMBERT, Paris - D’après un entretien avec le Pr Olivier HANON, Hôpital Broca, Paris
La surmortalité liée aux épidémies de grippe est connue de longue date, en particulier chez les personnes âgées. En revanche, la survenue d’événements cardiovasculaires graves au décours de ces épidémies n’a été documentée que beaucoup plus récemment. Olivier Hanon (Hôpital Broca, Paris) fait le point sur ce fardeau et précise la valeur de la vaccination pour la prévention des événements cardiovasculaires.
Cardiologie Pratique : Quelle est la surmortalité moyenne estimée dans une population âgée de plus de 65 ans au cours d’une épidémie de grippe ?
Olivier Hanon : Selon les données de Santé Publique France(1), le nombre de personnes touchées par les épidémies de grippe varie selon les années, on estime que 2 à 6 millions de sujets sont infectés. On dénombre environ 10 000 décès annuels, 90 % d’entre eux survenant chez des personnes de plus de 65 ans, ce taux étant encore plus élevé après 80 ans.
Cardiologie Pratique : Possède-t-on des données sur l’augmentation du nombre d’hospitalisations dans cette classe d’âge ?
Olivier Hanon : Selon les mêmes sources, on recense environ 18 000 hospitalisations par an en moyenne sur la période allant de 2012 et 2017. Quarante-huit pour cent des patients admis pour grippe sévère ont plus de 80 ans alors que cette proportion n’est que de 15 % dans la tranche d’âge 40-59 ans. La durée d’hospitalisation est plus longue chez les plus de 80 ans. Toutefois ces chiffres recouvrent les admissions pour grippe mais pas celles liées à un autre diagnostic, par exemple une comorbidité décompensée au décours de l’infection grippale, comme une insuffisance cardiaque aiguë (ICA) ou un syndrome coronarien aigu (SCA).
Cardiologie Pratique : Outre les comorbidités, l’immunosénescence est-elle également en cause dans les complications survenant chez les personnes âgées ?
Olivier Hanon : Oui, bien sûr, la réponse immunitaire diminue avec l’âge, cependant les comorbidités représentent le facteur de risque le plus important de complications de la grippe chez une personne âgée.
Cardiologie Pratique : On pense de façon évidente à des complications respiratoires directes, mais possède-t-on des données sur la survenue d’événements cardiovasculaires majeurs (MACE), de mortalité CV et d’hospitalisations pour ICA ?
Olivier Hanon : On sait depuis longtemps que le pic des accidents cardiovasculaires survient au cours de la période hivernale, qui est également la saison des épidémies de grippe. Les complications pulmonaires sont mieux recensées car elles apparaissent dans les PMSI, mais les complications cardiovasculaires semblent encore plus nombreuses. Les données dont nous disposons sont assez récentes, mais elles sont toutes convergentes. On constate que le risque de SCA, celui d’infarctus du myocarde (IdM) (STEMI ou non STEMI) — avec des Odds Ratio (OR) pouvant aller jusqu’à 6 — et celui d’AVC (OR : 2,91) augmentent au cours des périodes épidémiques. Tous les événements cardiovasculaires sont augmentés dans les populations âgées en hiver au cours des périodes d’épidémie de grippe avec un facteur de multiplication allant de 2 à 6.
Cardiologie Pratique : Pensez-vous que ces complications sont trop souvent sous-estimées et que les données manquent encore pour les estimer correctement ?
Olivier Hanon : Nous commençons à avoir beaucoup de données observationnelles obtenues sur des populations importantes. Citons par exemple l’étude rétrospective publiée dans le JACC en 2019(2) qui a été menée sur plus de 54 000 patients ayant une insuffisance cardiaque et qui ont été hospitalisés avec un diagnostic d’infection à influenza. Comparés aux insuffisants cardiaques admis sans infection grippale, ceux-ci présentaient une mortalité intrahospitalière plus élevée (6,2 % vs 5,4 % ; OR : 1,15 ; IC95% : 1,03-1,30 ; p = 0,02), un risque accru de détresse respiratoire aiguë (36,9 % vs 23,1 % ; OR : 1,95 ; IC95% : 1,83-2,07 ; p < 0,001) requérant plus fréquemment une ventilation assistée (18,2 % vs 11,3 % ; OR : 1,75 ; IC95% : 1,62-1,89 ; p < 0,001). Leur risque d’insuffisance rénale aiguë était également accru ainsi que la durée des hospitalisations.
Cardiologie Pratique : Quelles sont les mécanismes physiopathologiques qui expliquent la survenue de ces complications ?
Olivier Hanon : L’hypoxie et la tachycardie liées au syndrome inflammatoire et à l’infection diminuent l’apport myocardique en oxygène déjà altéré par l’existence d’un athérome coronaire sous-jacent augmentant ainsi le risque de SCA ou d‘insuffisance cardiaque. Des données récentes indiquent aussi un mécanisme inflammatoire direct au sein de la paroi artérielle favorisée par l’infection grippale à l’origine des événements athérothrombotiques. En effet, les interleukines agissent directement au niveau pariétal en favorisant la dysfonction endothéliale, l’apoptose des LDL oxydés et la dégradation des protéines de la matrice extra-cellulaire, qui fragilisent la plaque et accroissent le risque de rupture. L’effet procoagulant du syndrome inflammatoire favorise également la formation de thrombus. Enfin, des myocardites virales, qui résultent de l’action directe du pathogène au niveau myocardique, ont également été rapportées.
Cardiologie Pratique : Ces complications ne concernent-elles que des patients à haut ou très haut risque CV, notamment ceux qui ont une pathologie cardiovasculaire identifiée, ou peut-elle également atteindre des patients non identifiés ?
Olivier Hanon : Le plus souvent, ces complications concernent des patients qui ont une athérosclérose connue et qui sont aggravés par les mécanismes précédemment décrits, soit par rupture de plaque, soit par aggravation sur des pathologies préexistantes. En revanche, les myocardites surviennent quels que soient l’âge et la présence ou non de comorbidités.
Cardiologie Pratique : Peut-on considérer la vaccination comme un moyen de prévention des événements CV survenant dans une population âgée au décours d’une épidémie de grippe ?
Olivier Hanon : Oui, et c’est là sans doute le point le plus important. Nous avions des études convergentes qui mettaient en évidence l’association entre la grippe et la survenue de complications cardiovasculaires. La question était de savoir s’il était possible de réduire ces événements par une intervention thérapeutique. Depuis environ deux ans, nous avons maintenant des études observationnelles, mais aussi des essais randomisés, montrant que la vaccination antigrippe permet une diminution de 43 % de la mortalité totale chez les patients vaccinés par rapport à ceux qui ne le sont pas, une réduction des SCA de 56 %, de 29 % des MACE, une diminution de 20 % des AVC et de 40 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque(3). Dans un essai randomisé récent comparant la vaccination au placebo après un IDM survenu pendant une période d’épidémie grippale, la réduction des événements cardiovasculaires a été de 28 %, avec une mortalité toutes causes(4) abaissée de 41 % et une mortalité CV réduite de 41 % . Ces chiffres atteignent des proportions que nous obtenons rarement dans des études d’interventions thérapeutiques. On remarque également que la réduction de la mortalité d’origine respiratoire n’est que de 20 % avec la prévention vaccinale et que le bénéfice est donc plus marqué sur le plan cardiovasculaire. Toutes ces études concordent pour montrer l’intérêt de vacciner les sujets âgés en prévention secondaire, en particulier les patients coronariens et insuffisants cardiaques, mais aussi en prévention primaire chez des sujets à haut risque CV. C’est ce que met en évidence une métaanalyse publiée dans le JAMA dans laquelle les patients vaccinés à haut risque avaient une diminution de 34 % des événements CV par rapport aux non vaccinés(5). Ces données montrent tout l’intérêt de la vaccination, que les cardiologues n’intègrent pour l’instant pas suffisamment dans leurs stratégies thérapeutiques. Ainsi, dans l’étude PARADIGM-HF, dans laquelle les patients recevaient un traitement optimal pour leur insuffisance cardiaque, seuls 21 % d’entre eux étaient vaccinés contre la grippe(6). Ces chiffres sont variables selon les pays puisqu’on note que dans cet essai la couverture vaccinale atteignait 40 % en France. Dans notre pays les patients reçoivent un courrier de la Sécurité sociale les invitant à se faire vacciner, mais trop souvent les médecins ne vérifient pas qu’elle a été faite. Pourtant la vaccination contre la grippe figure dans toutes les recommandations des sociétés savantes pour les coronariens et les insuffisants cardiaques.
Cardiologie Pratique : Existe-t-il des contre-indications à la vaccination dans cette population ?
Olivier Hanon : Excepté une allergie avérée à l’un des composants du vaccin, il n’existe aucune contre-indication ; autant dire qu’elles sont rares. On veillera toutefois à ne pas l’administrer dans un contexte infectieux.
Cardiologie Pratique : Au total, à quelles personnes âgées de plus de 65 ans faut-il recommander la vaccination à l’approche de la saison hivernale ?
Olivier Hanon : Il faut vacciner toutes les personnes âgées de plus de 65 ans et cela est encore plus vrai chez les patients ayant une maladie cardiovasculaire car chez eux le bénéfice est double, le vaccin évite les complications directes de l’infection mais aussi la survenue d’événements cardiovasculaires. D’autant que d’autres complications peuvent survenir chez les personnes âgées : le risque de chute étant augmenté, la survenue d’une fracture du col du fémur peut entraîner une perte d’autonomie, en particulier chez les patients sarcopéniques.
Cardiologie Pratique : Y a-t-il plusieurs vaccins grippaux ?
Olivier Hanon : Il existe deux types de vaccins distribués en France cette saison grippale : trois avec un dosage « standard » et un autre, dit « haute dose », avec un dosage d’antigènes quatre fois supérieur, afin de pallier l’immu- nosénescence des personnes de plus de 65 ans. Ces vaccins sont utilisables dans le cadre de leur AMM et selon les recommandations vaccinales grippales publiées par le ministère de la Santé en France, à partir de l’âge de 6 mois pour les vaccins à dose standard et à partir de 65 ans pour le vaccin haute dose.
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