Publié le 01 juin 2022Lecture 5 min
Deep learning et ECG
Laurent FIORINA, Mina AIT SAID, hôpital Jacques Cartier, Massy
Jusqu'à récemment, l'ECG pouvait être perçu à tort comme faisant partie de l'arsenal du cardiologue du passé. Dans le domaine du diagnostic, alors que nous avons assisté aux progrès impressionnants de l'imagerie, l'ECG inventé en 1895 par Willem Einthoven n'avait pas connu de modification importante depuis près d'un siècle. Cependant, il reste une pierre angulaire du diagnostic en médecine et notamment en cardiologie avec plus de 300 millions d'ECG réalisés par an dans le monde(1).
La révolution actuelle de l’ECG s’est faite grâce à la synergie de deux avancées majeures : l’application des dernières technologies d’intelligence artificielle avec le deep learning (DL), et l’avènement des wearables ou objets connectés portables, le principal d’entre eux étant la montre ECG (Smartwatch ECG) rendant le diagnostic accessible à tous, sans nécessité d’intervention d’un médecin.
Une des technologies les plus poussées d’intelligence artificielle
Le deep learning ou « apprentissage profond » est une des technologies les plus poussées d’intelligence artificielle actue lement appliquée. Elle a été popularisée en 2015 par Google grâce à la victoire d’AlphaGo, un algorithme ayant battu le champion du jeu de Go, jeu réputé parmi les plus complexes. De même, l’utilisation de la reconnaissance faciale par des algorithmes de DL s’est largement répandue. Une des premières preuves d’efficacité de cette technologie pour l’usage médical a été faite pour le diagnostic de la rétinopathie diabétique(2).
Dès 2014, des ingénieurs en collaboration avec des cardiologues l’ont appliqué à l’ECG. Il s’agissait d’entraîner un algorithme de DL sur une grande base de données ECG avec des diagnostics précis pour qu’ensuite l’algorithme soit capable de reconnaître les différentes ondes de l’ECG et leurs déformations. Ainsi, le premier dispositif du genre à obtenir une certification a été celui de l’analyse ECG Holter de Cardiologs avec un marquage CE en 2016, puis FDA en 2017, en démontrant un gain de temps d’analyse sans compromission sur les performances diagnostiques(3). Sont apparus ensuite le dispositif Kardia en 2017 et d’autres objets connectés dont notamment les montres ECG en 2018 avec l’Apple Watch pour le diagnostic de FA et le stéthoscope ECG EKO pour dépister une FEVG basse.
Ces algorithmes ont été principalement développés pour des ECG à une ou plusieurs dérivations (Holter, dispositifs portables et montres) permettant de nombreux diagnostics notamment rythmiques, mais également pour l’ECG 12 dérivations, où ils ont prouvé leur supériorité sur les algorithmes classiques(4).
Le prérequis essentiel pour l’utilisation et l’entraînement de ces algorithmes est la numérisation des ECG et des bases de données. En effet, cette technologie nécessite des quantités considérables de données bien agencées, bien annotées et reliées correctement aux éléments que l’on voudra « apprendre » à l’algorithme. Par ailleurs, des techniques existent pour interroger a posteriori l’algorithme afin de connaître les éléments ayant orienté ses décisions (figure).
Actuellement, deux types d’applications
Le diagnostic
Dans la première étude d’envergure parue dans Nature, A.Y. Hannun et al.(5) ont comparé le diagnostic des principales arythmies de 91 232 ECG (1 dérivation) par 6 cardiologues avec celle d’un algorithme de DL et montré la supériorité de ce dernier. Les performances de l’algorithme étaient ici certes impressionnantes mais comparées à celles de cardiologues dont la « sensibilité » pour détecter une arythmie était faible (FA 71 %, BAV 73 %, TV 65 %).
Concernant le diagnostic en ECG 12 dérivations, A. H. Ribeiro et al.(6) rapportent des résultats intéressants sur 827 tracés avec une valeur prédictive positive pour le BBD, BBG et FA de 89,5 %,100 % et 100 % respectivement. S. Al-Zaiti et son équipe(7) ont testé leur algorithme sur la capacité à diagnostiquer un syndrome coronarien aigu sur un ECG et ont montré un gain de sensibilité de 37 % sans perte de valeur prédictive négative.
Les limites des critères classiques d’hypertrophie ventriculaire gauche sont bien connues. Le défi du diagnostic d’une cardiopathie structurelle comme la cardiomyopathie hypertrophique (CMH) a pu être relevé par W.Y. Ko et al.(8) avec une sensibilité et spécificité de 87 et 90 % sur une population de 612 patients avec CMH avérée et 12 788 patients contrôle, conservant des performances similaires lorsque l’ECG était considéré comme normal par des experts. De plus, l’algorithme testé sur une dérivation (D1) révélait une sensibilité et spécificité de 83 et 81 %. L’idée ici est qu’un algorithme de DL entraîné sur de très nombreux exemples aura un « œil » plus performant pour distinguer des modifications subtiles indétectables pour un humain même expert.
L’ECG comme biomarqueur
Le terme de biomarqueur appliqué à l’ECG se rapporte à la possibilité d’y retrouver une signature caractéristique d’une maladie, d’un diagnostic ou d’une réponse à un traitement. Ces signaux faibles de l’ECG, ignorés ou invisibles à l’œil nu, peuvent être liés à des désordres cardiaques ou extracardiaques, présents ou à venir. Z. I. Attia (9), P. Bachtiger(10) et leurs équipes ont réussi à entraîner un algorithme de DL pour prédire une FEVG basse (< 35 %) à partir d’une base d’apprentissage de 44 959 patients de la Mayo Clinic où à chaque ECG 12 D correspondait une échographie. Cet algorithme a par la suite été validé par d’autres études et utilisé par le dispositif EKO (commercialisé depuis peu) qui combine un stéthoscope amplifié à un bipole permettant l’enregistrement d’un ECG 1 D.
De manière peut-être moins intuitive, des algorithmes ont été développés pour détecter des déséquilibres biologiques tels l’hyperglycémie(11) avec des résultats encore imparfaits (sensibilité et spécificité à 87 et 85 %). De même 1 638 546 ECG de la Mayo Clinic appariés aux kaliémies au moment de l’enregistrement ont permis à C.D. Galloway et al.(12) de développer un algorithme de DL prédisant une hyperkaliémie avec une sensibilité et spécificité de 90 % et 63 %.
Le DL peut donc prédire une condition à un instant t, mais également une pathologie à venir pour peu que l’on dispose de données suffisantes avec un suivi longitudinal et que la pathologie s’y prête. C’est ce qu’ont montré S. Raghunath et al.(13) en entraînant un réseau de neurones sur 1,6 million d’ECG de 430 000 patients suivis entre 1984 et 2019. Le principe est de prévoir à partir d’un ECG 12 D sinusal si le patient développera de la FA à 1 an, ce qui paraît possible avec une sensibilité et spécificité de 69 et 81 %. On devine les applications d’un tel algorithme dans le dépistage ou le bilan post-AVC.
Le deep learning à domicile
Enfin, les algorithmes de DL permettent, avec des dispositifs comme la montre ECG, de multiplier les diagnostics à distance en dehors d’un environnement médical. Cela offre des perspectives pour le suivi à distance, rendu crucial du fait de la pandémie Covid 19 et de la démographie médicale, avec des suivis plus fréquents et plus précis. Le diagnostic de FA avec les montres ECG est désormais bien connu. Un autre cas d’usage est le monitoring de l’intervalle QT, évalué dans l’étude QT-logs avec de bons résultats(14).
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