Publié le 15 mar 2017Lecture 7 min
Télécardiologie des prothèses rythmiques - Les décompensations cardiaques pourraient-elles être évitées ?
Laurence GUÉDON-MOREAU et coll.*, Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille, France
La télémédecine en général et la télécardiologie en particulier ont eu initialement pour objectif de faciliter l’accès aux soins pour les patients résidant dans des territoires reculés. Or, très rapidement, ce mode d’exercice de la médecine a démontré son efficacité, son efficience et sa pertinence en termes respectivement de morbidité, de coût et d’organisation des pratiques médicales.
Dans le domaine des prothèses rythmiques, depuis la conférence de consensus de 2015, les experts de la Heart Rhythm Society (HRS) recommandent fortement et avec le plus haut niveau de preuve (recommandation de classe I, niveau de preuve A), l’usage de la télésurveillance pour le suivi des patients toutes populations confondues. Cependant, dans ces recommandations figure une réserve quant à l’efficacité de la télésurveillance de l’impédance thoracique, seule ou combinée à d’autres paramètres, pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (IC) ; cette réserve est assortie d’un niveau de preuve C, indiquant l’insuffisance des études jusque-là réalisées dans le domaine de la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque via les prothèses rythmiques.
La télémédecine s’est jusqu’ici montrée décevante en termes de diminution de morbi-mortalité en dehors du domaine des prothèses rythmiques. En effet, les études randomisées et contrôlées TELE-HF et TIM-HF ont déçu les espoirs soulevés par les métaanalyses des études moins rigoureuses sur le plan méthodologique qui les ont précédées. Leurs résultats indiquent que la télésurveillance du poids, ± de la pression artérielle, ± de l’ECG, et des symptômes des patients ne suffit pas pour diminuer les décès et les hospitalisations. Il est vraisemblable que la modification de ces paramètres soit trop tardive pour qu’une intervention soit alors efficace.
La télésurveillance via les prothèses rythmiques : quel plus ou quelle différence ?
Tout d’abord le mode de télésurveillance est tout autre dans la mesure où elle est automatisée avec les prothèses rythmiques et fait donc très peu appel à l’observance des patients. Cette caractéristique s’oppose par exemple à la télésurveillance du poids qui requiert la contribution des patients pour la régularité des pesées. De plus, la télésurveillance des prothèses rythmiques peut être quotidienne, notamment en cas de déstabilisation d’un paramètre. Et surtout, la technique permet de surveiller une multitude de paramètres cliniques ou paracliniques (figure 1), à savoir :
Les troubles du rythme ventriculaires, ce qui permet le dépistage des orages rythmiques qui favorisent ou bien peuvent être le signe d’une décompensation d’IC.
Les troubles du rythme supraventriculaires et particulièrement la charge en fibrillation atriale et la cadence ventriculaire pendant la charge atriale, là aussi facteur déclenchant potentiel de décompensation d’IC.
La fréquence cardiaque, en particulier au repos, dont l’augmentation peut être un marqueur de décompensation d’IC.
Le niveau d’activité du patient qui, s’il s’abaisse, peut laisser penser que des symptômes gênant l’exercice physique sont apparus.
La variabilité de la fréquence cardiaque, dont on sait qu’elle représente un facteur pronostique péjoratif, même si à ce jour son interprétation reste sujette à caution (figure 2).
L’impédance thoracique, qui indique le degré de résistance au passage d’un courant électrique et donc qui s’abaisse en cas de congestion pulmonaire étant donné la faible résistance au courant des liquides.
Le pourcentage de resynchronisation, qui doit être le plus élevé possible pour améliorer le pronostic des patients porteurs de ce type de système.
Figure 1. Rapport synthétique multiparamétrique des données surveillées par télécardiologie chez un porteur de CRT-D.
Figure 2. Évolution de la variabilité de fréquence cardiaque transmise par télécardiologie, après implantation d'un CRT-D.
Les études
• EVOLVO est l’une des premières grandes études qui s’est intéressée à la télécardiologie via les prothèses rythmiques dans l’insuffisance cardiaque. Elle a randomisé 200 patients avec une FEGV < 35 %, implantés d’un DAI avec ou sans resynchronisation entre télésurveillance « on » ou « off ». Résultat, la télésurveillance a réduit le risque de consultation en urgence, sans pour autant baisser le risque d’hospitalisation pour décompensation cardiaque.
• Le gigantesque registre américain ALTITUDE a permis d’observer le devenir d’une population de patients implantés d’un CRT-D et a mis en évidence une réduction de moitié de la mortalité à 1 et 5 ans des patients bénéficiant de la télécardiologie, mais les données de ce registre n’étaient pas suffisamment détaillées pour permettre l’analyse des décompensations d’insuffisance cardiaque.
• Dans l’étude italienne non randomisée EFFECT, le groupe des patients porteurs d’un CRT-D a été l’objet d’une réduction de la mortalité et des hospitalisations cardiovasculaires s’ils étaient télésurveillés.
• L’étude IN-TIME s’est quant à elle focalisée sur 664 patients en insuffisance cardiaque chronique, de classe NYHA II ou III, avec une FEVG < 35 %, en rythme sinusal et porteurs d’un DAI ou CRT-D. L’originalité de cette étude réside dans une prise en charge guidée très précise des alertes de télécardiologie. Cette prise en charge a conduit après 1 an à une réduction de dégradation d’un score composite comportant les décès toutes causes confondues, les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, les augmentations de classe NYHA et les dégradations des auto-évaluations des patients. De plus, la télécardiologie a permis une diminution de moitié de la mortalité totale, mais pas des hospitalisations pour insuffisance cardiaque.
• Très récemment deux nouvelles études sont venues modérer notre enthousiasme. L’étude MORE-CARE a randomisé 865 patients, dans les 8 semaines après l’implantation d’un CRT-D, pour être suivis soit par des contrôles programmés de la prothèse à distance à l’aide du système CareLink® (Medtronic) alternant avec les contrôles présentiels, soit par des contrôles uniquement présentiels. Le groupe des patients contrôlés à distance bénéficiait aussi du système d’alertes fourni par CareLink® en cas d’anomalie de l’impédance thoracique, de troubles du rythme supraventriculaire et bien sûr en cas d’atteinte à l’intégrité du système. Ici, le système de télécardiologie n’a pas eu d’impact sur le critère principal composite d’évaluation de l’étude, à savoir les décès et les hospitalisations cardiovasculaires ou liées à la prothèse. Il est à noter que l’effectif s’est révélé insuffisant pour pouvoir conclure positivement. Mais, point positif, la télécardiologie a permis de diminuer les ressources pour les soins en diminuant le nombre de contrôles présentiels sans compromettre la sécurité des patients.
La seconde étude récente, REM-HF, a randomisé 1 650 patients présentant une IC, porteurs d’un DAI ou CRT-D ou CRT-P (pouvant provenir de 3 constructeurs différents), pour être suivis, soit à l’aide de la télécardiologie (avec donc 3 systèmes de télécardiologie différents) à savoir une télésurveillance hebdomadaire, soit de façon présentielle standard. La prise en charge du groupe télécardiologie était très encadrée par un protocole précisant quelles mesures il convenait de mettre en oeuvre en réponse aux variations des données surveillées à distance. Là encore, la télécardiologie n’a eu aucun impact sur le critère d’évaluation principal de l’étude, c’est-à-dire sur la mortalité toutes causes ou la première hospitalisation non programmée pour raison cardiovasculaire.
Que penser de tous ces résultats ?
Les résultats sur l’intérêt de la télécardiologie des prothèses rythmiques pour éviter les hospitalisations pour décompensation cardiaque demeurent à ce jour décevants, à l’image de la télécardiologie hors prothèses rythmiques. Les paramètres qui suggèrent qu’une décompensation cardiaque est déjà présente, quelle que soit leur fiabilité, ne suffisent pas. Il existe différents modes de décompensation (oedèmes des membres inférieurs, oedème pulmonaire, congestion veineuse et insuffisance rénale), différentes vitesses et différentes ampleurs de décompensation. La difficulté est de déterminer le juste seuil au juste moment et pour un patient donné.
À côté de l’usage de la télécardiologie pour la détection précoce des décompensations d’IC, il est judicieux de l’utiliser aussi pour la détection précoce des facteurs favorisant ces décompensations. On se situe alors non plus au niveau de la détection précoce des décompensations d’IC, mais au niveau de leur prévention, ce qui pourrait permettre de mieux éviter les hospitalisations pour décompensation. Une focalisation sur des paramètres influençables mérite d’être privilégiée, telle la mauvaise observance thérapeutique, l’infection, l’insuffisance rénale, les poussées d’HTA, les troubles du rythme cardiaque ou encore l’ischémie myocardique. Les prothèses rythmiques ne peuvent évaluer que le rythme cardiaque, ce qui n’est sans doute pas suffisant même si ces données sont riches d’informations puisque :
• la fréquence cardiaque et sa variabilité sont des facteurs pronostiques ;
• la tachycardie sinusale est l’un des signes de décompensation d’IC ;
• les troubles du rythme constituent des facteurs de décompensation.
La télécardiologie pour être efficace devrait vraisemblablement utiliser un ensemble de données non corrélées permettant une évaluation multidimensionnelle.
Conclusion
La télécardiologie via les prothèses rythmiques est certainement extrêmement précieuse pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque de par la précision des données qu’elle fournit et de son caractère totalement automatique qui décharge le patient.
Elle devrait pouvoir contribuer, combinée à d’autres systèmes de télésurveillance, à dépister, diminuer la gravité mais surtout prévenir les décompensations d’insuffisance cardiaque pour les populations bien spécifiques de patients.
L’étude ECOST-CRT apportera des données nouvelles à ce sujet.
*C. KOUAKAM, B. LEMAN, L. FINAT, Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille, France
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