Publié le 29 fév 2012Lecture 5 min
La stratégie invasive sous aspirine + tirofiban (bolus haute dose) sans inhibiteur des récepteurs P2Y12 !
F. SCHIELE, Université de Franche Comté, CHU de Besançon
HAC Pharma a demandé à un expert de commenter un point très particulier des recommandations de la Société européenne de cardiologie pour la prise en charge des SCA sans sus-décalage du segment ST.
Le contexte actuel d’utilisation des antiplaquettaires dans les syndromes coronaires aigus (SCA)
Il est certainement inutile de rappeler l’importance de l’inhibition plaquettaire dans la pathologie artérielle, et combien les inhibiteurs des récepteurs P2Y12 et GPIIb/IIIa sont entrés dans la pratique quotidienne de l’angioplastie, particulièrement dans les syndromes coronariens aigus (SCA). La mise sur le marché de nouveaux médicaments antiplaquettaires de plus en plus puissants et l’attention progressive portée aux complications hémorragiques débouchent sur une situation qui est loin d’être figée et sur des indications et recommandations fluctuant au cours du temps.
Ainsi, après les démonstrations du bénéfice clinique lié à l’utilisation des inhibiteurs des récepteurs GPIIb/IIIa et la généralisation de leurs indications, l’arrivée du clopidogrel a progressivement restreint leurs indications. Ainsi, dans les SCA sans sus-décalage du segment ST, la place des inhibiteurs des récepteurs GPIIb/IIIa est réservée à des situations d’angioplastie à haut risque thrombotique et à la condition d’un risque hémorragique faible, et leur prescription en amont de la salle de coronarographie s’est vue clairement déconseillée.
L’arrivée des nouveaux inhibiteurs des récepteurs P2Y12, molécules d’action plus rapide, plus puissante et moins sujette à variabilité individuelle que le clopidogrel, modifie également nos prescriptions. L’amélioration attendue du pronostic des patients passe par une utilisation optimale de chacun de ces traitements et donc une plus grande complexité de la prescription.
L’aide des recommandations pour ces décisions est réelle mais, à vouloir rester très proches des preuves scientifiques, leur logique peut restreindre très fortement certaines prescriptions.
Ainsi, pour le dernier inhibiteur P2Y12 disponible en France, malgré un bénéfice montré chez les patients avec NSTEMI (étude TRITON), la prescription, déjà limitée par des restrictions liées au risque hémorragique, devient une quasi-impossibilité par l’incompatibilité de le prescrire à la fois « le plus tôt possible », uniquement en cas d’angioplastie (et donc après la coronarographie) et jamais si les patients ont déjà reçu du clopidogrel.
Pour l’utilisation des inhibiteurs des récepteurs GPIIb/IIIa, les restrictions sont aussi très nettes : jamais en situation médicale et hors indication d’angioplastie, mais toujours en prenant en considération les risques thrombotiques et hémorragiques (tableau 1).
Une situation clinique non exceptionnelle
Une patiente de 64 ans, ancienne fumeuse, sans antécédent vasculaire est admise pour des symptômes atypiques associant palpitations et douleurs thoraciques diffuses survenant depuis plusieurs jours, sans rapport avec les efforts et de courte durée. Deux ans auparavant, elle avait été soumise à un test d’effort avant de reprendre une pratique sportive ; ce test était normal. L’examen clinique n’est pas informatif, l’ECG de repos est normal et le bilan biologique confirme une hypercholestérolémie connue et non traitée. Deux dosages de troponine hypersensible montrent une augmentation minime à 0,025 µg/l (limite normale à 0,015).
Le diagnostic est considéré comme incertain et on propose la réalisation d’une scintigraphie myocardique dans les 24 heures ; dans l’attente, la patiente reçoit une dose de 250 mg d’aspirine, mais pas de thiénopyridine compte tenu de la probabilité moyenne de SCA et le possible risque hémorragique.
L’épreuve d’effort reproduit les symptômes, est électriquement fortement positive et le sous-décalage du segment ST persiste 15 minutes après l’arrêt de l’effort. Le diagnostic de SCA devient alors très probable et la patiente est orientée rapidement vers la salle de coronarographie. L’examen confirme le SCA et révèle une lésion critique de la coronaire droite contenant probablement une part thrombotique (figure 1).
Après administration de tirofiban (bolus haute dose de 25 µg/kg puis perfusion de 0,15 µg/kg/minute sur 18 h), une angioplastie est réalisée avec mise en place d’un stent non actif, sans complication perprocédure, no reflow ou embolisation distale. Le dernier inhibiteur des récepteurs P2Y12 disponible en France est prescrit à la dose de 60 mg (dose de charge) puis 10 mg/j pendant 1 an, ainsi que l’ensemble du traitement de prévention secondaire.
Figure 1. Lésion responsable du SCA (A), aspect poststent (B).
Un scénario décrit dans les recommandations
Dans le tableau récapitulatif de l’utilisation des inhibiteurs des récepteurs GPIIb/IIIa (tableau 1), se trouve une recommandation de grade IIa, pour l’utilisation de l’eptifibatide ou du tirofiban chez les patients à « haut risque » thrombotique, qui n’auraient pas été préalablement traités par antiplaquettaires oraux, et soumis dans ces conditions à une coronarographie précoce (dans les 24 h). Cette recommandation n’est pas détaillée dans le texte mais elle mérite attention car elle correspond à une situation clinique plus fréquente qu’il n’y paraît et qui, de plus, peut ouvrir sur un choix plus large des inhibiteurs des récepteurs P2Y12.
Malgré ou à cause des dosages de troponine ?
Une proportion non négligeable de patients sont admis pour des douleurs atypiques et sans modifications de leur ECG. Finalement, c’est le seul dosage de la troponine qui oriente le diagnostic vers le NSTEMI et donc vers la salle de coronarographie. Sachant la plus grande sensibilité des tests de dosage de la troponine dits « de deuxième génération », qui n’ont pas plus de spécificité (pour l’origine ischémique), et les conséquences potentielles d’un traitement inapproprié par aspirine et inhibiteur des récepteurs P2Y12, l’idée d’amener certains patients, sans prétraitement antiplaquettaire, à la coronarographie est logique quand le diagnostic reste douteux. Si le diagnostic de SCA est confirmé et qu’il faut réaliser une angioplastie chez ces patients, la mise en route d’aspirine et de tirofiban permet une inhibition plaquettaire malgré l’absence de prétraitement (figure 2), à la fois immédiate et très intense (en fait, plus rapide et plus importante qu’avec les inhibiteurs P2Y12), et le bénéfice de l’utilisation du tirofiban est démontré (tableau 2). L’inhibition P2Y12 peut être initiée durant ou juste après l’angioplastie et les trois molécules disponibles sont utilisables.
Figure 2. Inhibition plaquettaire par le bolus haute dose de tirofiban (d’après JD Marmur et al. J Invasive Cardiol 2008 ; 20 : 53-8).
Tableau 2. Bénéfice de l’utilisation du tirofiban (bolus dose normale et haute dose) en angioplastie des SCA (métaanalyse de M. Valgimigli et al. Eur Heart J 2010 ; 31 : 35-49).
Conclusion
Le maniement des antiplaquettaires oraux est parfois délicat, en particulier à la phase très précoce de suspicion d’un SCA, quand on n’a pas de certitude clinique du diagnostic.
Ne pas initier ce traitement dans le doute, utiliser au besoin une association aspirine et tirofiban (ou eptifibatide) et débuter l’inhibition P2Y12 quand l’indication est certaine est une stratégie logique, qui a été étudiée biologiquement et cliniquement, reconnue dans les recommandations européennes et qui s’avère simple et efficace.
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