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Thrombose

Publié le 14 juil 2013Lecture 9 min

Accidents thromboemboliques et voyages aériens

F. LAPOSTOLLE, P. ORER, F. ADNET, SAMU93, Hôpital Avicenne, Bobigny

Il est établi que les voyages aériens sont associés à un risque d’accident thromboembolique. Ce risque augmente significativement pour les vols de plus de 5 000 km. Le rôle potentiel d’autres facteurs de risque liés au voyage ou au passager demeure incertain. Ainsi, le rôle de l’hypoxie et de l’hypobarie, de la classe du voyage et des facteurs de risque thromboembolique habituels n’est pas connu. En conséquence, la stratégie prophylactique repose sur la combinaison de deux catégories de risque : le voyage (en particulier sa durée) et le patient (et son risque thromboembolique intrinsèque). Les mesures prophylactiques comportementales sont d’indication très large. Le port de chaussettes de contention est fortement recommandé. Le recours à une prophylaxie pharmacologique doit demeurer exceptionnel et être discuté au cas par cas.

Historique   Louis Blériot franchit la Manche en 1909(1). Charles Lindberg, à moins que ce ne soit Nungesser et Coli, traversa l’océan Atlantique pour la première fois en 1927, en plus de 30 heures(1). 
Les premières compagnies aériennes virent le jour vers 1920, faisant de l’avion un moyen de transport collectif. 
 Depuis cette date, la croissance du trafic aérien a connu des à-coups, mais n’a jamais cessé d’augmenter. Elle a porté non seulement sur le nombre de passagers, mais aussi sur le nombre de destinations et la distance parcourue. Ainsi, si, en 1960, une Caravelle transportait 60 passagers sur 600 km, aujourd’hui, l’Airbus A 380, dans sa configuration maximale, en transporte 850 sur 15 000 km ! Selon la Direction de l’aviation civile, plus de 2,7 milliards de personnes ont voyagé en avion dans le monde en 2011. Cette augmentation du nombre de « passagers-kilomètres » a fait émerger la question des problèmes médicaux survenus à bord des avions(2). L’attention s’est rapidement portée sur les accidents thromboemboliques. 
 En 1954, Homans a le premier évoqué l’hypothèse d’une relation entre la survenue d’accidents vasculaires et les voyages, aériens en particulier. Il a rapporté des événements thromboemboliques et ischémiques dans deux cas de voyage en avion (et deux cas de voyage en voiture). Il a incriminé la position assise prolongée comme facteur de risque de thrombose(3). La notion de « syndrome de la classe économique » a été évoquée en 1977… à propos de trois cas(4). La multiplication des observations et des publications a ensuite alimenté la discussion sans trancher sur la relation de causalité(5-9).   Accidents thromboemboliques et voyages aériens : risque réel ou relation fortuite ?   Telle était la question en 2001, résumée par cet éditorial du British Medical Journal  : « Pulmonary embolism after air travel may occur by chance alone »(10). L’hypothèse soutenue était qu’une embolie pulmonaire avait d’autant plus de risque de survenir lors d’un voyage… que les passagers étaient nombreux et le voyage prolongé. 
 Des arguments théoriques et quelques études soutenaient pourtant l’existence d’une relation entre les voyages aériens et les accidents thromboemboliques :   Arguments physiopathologiques : triade de Virshow Selon Virshow, le développement d’une thrombose veineuse profonde est en rapport avec trois phénomènes : lésions endothéliales, stase veineuse et modifications sanguines(11). 
 - Stase veineuse. Elle semble favorisée par la position assise prolongée. En position assise, le repos musculaire contribue à ralentir le flux sanguin et la vidange ; les valvules veineuses sont immobiles, elles flottent librement dans le flux sanguin et demeurent perméables(12-14). Une augmentation de volume des mollets a été mesurée(12,13). 
 - Lésions endothéliales. Elles seraient favorisées par la compression prolongée des cuisses sur le bord d’un siège. 
 - Modification du contenu vasculaire. Après une heure en position assise, l’hématocrite augmente de 30% et la protidémie de 40%. Hémoconcentration et augmentation de viscosité favorisent le développement d’un thrombus(13,15,16). 
 L’hygrométrie réduite dans la cabine (10% environ), l’insuffisance d’ingestion d’eau et l’effet diurétique de l’alcool, dont la consommation est fréquente au cours des vols longcourriers, provoquent une déshydratation et majorent ces effets. Une augmentation de l’activation plaquettaire et une augmentation anormale de la coagulation ont aussi été rapportées. 
Les effets sur l’hémostase semblent plus difficiles à évaluer. Les résultats des récentes études réalisées en caisson sont contradictoires(17-19). Les spécificités de risque liées à l’hypobarie et à l’hypoxie induites par le transport aérien demeurent discutées(14,17-19).   Finalement, le risque semble essentiellement lié à la position assise prolongée(20,21). Il n’est donc pas l’apanage des voyages aériens. Toutes les situations à l’origine d’une position assise prolongée sont concernées. Ainsi, le train, la voiture, mais aussi le théâtre, voire le travail de bureau ou les jeux vidéo ont été incriminés(3,22-25)…   Arguments cliniques en faveur d’une relation entre accidents thromboemboliques et voyages aériens Une étude cas-témoins a retrouvé le voyage en voiture et en avion comme facteur de risque de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire (odd-ratio : 3,98)(26). Une étude a rapporté la présence échographique d’une thrombose veineuse profonde asymptomatique chez 10% des 231 personnes ayant effectué un vol de 8 heures (avec un examen normal au départ) (27). Ces études ont fait l’objet de réserves méthodologiques(28,29). Enfin, en 1999, la fréquence de survenue d’une embolie a été estimée à 0,5 cas par million de passagers arrivant aux aéroports de Paris (30). Si, pour la première fois, ce travail quantifiait la relation, cela ne suffisait pas à la démontrer. 
 Afin d’analyser la relation entre la durée du voyage et la survenue d’une embolie pulmonaire, nous avons étudié une cohorte de passagers arrivant à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Il s’agissait de démontrer que ce n’était pas l’accroissement de la période d’observation (i.e. de la durée du vol) qui augmentait, fortuitement, le nombre d’incidents survenant pendant le voyage(31). Plus de 135 millions de passagers provenant de plus de 100 pays ont constitué le groupe témoin. Ils ont été classés en fonction de la distance du vol ainsi que les 56 patients victimes d’embolie pulmonaire figurant parmi eux. L’incidence des embolies pulmonaires était de 0,4 cas par million de passagers. Elle atteignait 4,8 cas par million pour les vols de plus de 10000 km. La cassure dans la courbe pour des voyages de 5 000 à 7 500 km démontre que ce n’est pas l’augmentation de la période d’observation qui explique l’accroissement de l’incidence des embolies pulmonaires lors des vols les plus longs (figure). 
    Figure. La cassure dans la courbe (orange) confirme que les cas ne sont pas observés « par hasard ». (D’après(31))   Il convient de souligner que ce résultat sous-estime l’incidence des événements. Seuls les patients ayant présenté une embolie pulmonaire grave ont été inclus(32) ; ceux victimes d’un arrêt cardiaque ne l’ont pas été, alors que l’embolie pulmonaire est une cause fréquente d’arrêt cardiaque au décours d’un voyage en avion(33). Les patients avec une thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire non grave n’ont pas été inclus, ils ont quitté l’aéroport sans consulter le service médical. Or, il est établi que l’embolie pulmonaire peut survenir jusque plusieurs semaines après le voyage(26). 
 Ces résultats ont été confirmés par une étude espagnole de méthodologie similaire(34). L’incidence des embolies pulmonaires à l’aéroport de Madrid était, au centième près, identique à celle que nous avions rapportée : 0,39 cas par million de passagers. La courbe de l’incidence des embolies pulmonaires en fonction de la distance était aussi comparable à celle que nous avions établie.   Facteurs de risque d’accident thromboembolique lors d’un voyage aérien   La relation entre le voyage aérien et la survenue d’une embolie pulmonaire étant démontrée, la prévention est la question principale. La question est très débattue(14,35-37). La réalité du risque n’est pas précisément quantifiée, mais l’incidence se compte en cas par million. Cette incidence contraste grandement avec le nombre de personnes (en bonne santé dans la plupart des cas) potentiellement concernées par la question de la prophylaxie : les plus de 2,7 milliards de personnes ayant voyagé en avion dans le monde en 2011. 
 S’il est admis que le risque dépend de la durée du voyage, aucun autre facteur de risque spécifique n’a été identifié(31,38). Or, la connaissance de ces facteurs de risque est déterminante dans le choix d’une stratégie prophylactique. Cette recherche se heurte à des écueils méthodologiques majeurs. 
Ainsi, aucune étude n’a pu, à ce jour, confirmer ou infirmer le risque lié au voyage en « classe économique »(4). 
 Plusieurs auteurs ont observé que les femmes étaient particulièrement exposées au risque d’accident thromboembolique. Ce chiffre est de l’ordre de 70% dans la plupart des études(8,31,34). Il atteignait 90% dans une étude japonaise(37). 
La confirmation de ce risque reposait sur la constitution d’un groupe témoin adapté(39). Ce groupe témoin a été constitué de 540 734 passagers arrivant à Tahiti (Polynésie française). 
Le plus court des vols pour s’y rendre (en provenance de Nouvelle-Zélande) est de 4 100 km. La proportion de femmes dans ce groupe témoin a été comparée, en fonction de la distance du voyage, avec celle des femmes parmi 116 patients victimes d’une embolie pulmonaire après un voyage longue distance. L’incidence des embolies pulmonaires, pour les voyages de plus de 10000 km, était de 7,2 (7,2-7,3) cas par million de passagers pour les femmes et de 2,3 (2,3-2,4) pour les hommes(40). Ce sur-risque lié au sexe n’est pas retrouvé dans la population générale des victimes d’embolie pulmonaire (41,42). Des explications hormonales, physiques et comportementales été ont invoquées (38,43). Les femmes oseraient moins que les hommes déranger leur voisin, ce qui favoriserait leur immobilité pendant le voyage. Les femmes étant de plus petite taille, elles seraient plus exposées à la compression des membres inférieurs sur le bord de leur siège. Cela favoriserait la stase sanguine et les lésions vasculaires et ainsi la survenue d’une thrombose veineuse profonde(37). 
Dans une étude cas-témoins récente, nous avons observé que le gabarit (poids, taille, IMC) des patients victimes d’un accident thromboembolique après un voyage ne différait pas significativement de celui de patients victimes d’un accident thromboembolique qui n’avaient pas voyagé. De la même façon, les patients voyageurs n’avaient pas plus de facteurs de risque thromboembolique et de troubles de l’hémostase que ceux du groupe contrôle. 
 Cela est cohérent avec les données de la littérature et renforce le rôle propre du voyage. Aucun autre facteur de risque spécifique de survenue d’accident thromboembolique lié aux voyages aériens n’a été identifié. Le rôle de la classe du voyage, de l’hypoxie, de l’hypobarie et des anomalies de l’hémostase n’est pas connu. Les études publiées suggèrent que le rôle de ces facteurs est mineur et bien moindre que le risque lié au voyage lui-même. Cela doit servir de base à l’élaboration d’une stratégie prophylactique.   Prophylaxie du risque thromboembolique lié au voyage aérien   En l’absence d’identification de facteurs de risque spécifiques, il convient de s’en remettre à ce qui est connu pour le risque d’embolie pulmonaire dans la population générale et de considérer que le risque augmente avec la distance du vol. Ainsi, sont à risque tous les passagers qui effectuent un vol de plus de 5 000 km et tous ceux qui effectuent un vol de moindre distance, mais présentent d’autres facteurs personnels de risque thromboembolique, innés ou acquis. Toutefois, la manière de combiner ces critères, distance du voyage et facteurs de risque personnels, pour déterminer un niveau de risque individuel et définir une stratégie de prophylaxie demeure incertaine. Un consensus international a été proposé(44), et des recommandations récentes sur la maladie thromboembolique traitent spécifiquement du risque lié au voyage aérien(45).   Prophylaxie Elle repose sur trois types de mesures qui n’ont pas toutes été solidement validées : 
 - Mesures comportementales : bonne hydratation, abstinence de consommation de sédatif, d’alcool et de tabac, port de vêtements ne gênant pas la circulation sanguine (chaussettes et pantalon en particulier), mouvements réguliers des membres inférieurs et déambulation régulière dans l’avion(13,14,46,47). Le bénéfice réel de ces mesures n’a pas été démontré. Cependant, ces mesures, non dispendieuses et ne présentant aucun risque, sont largement recommandées (38). Nombre de compagnies aériennes ont entamé une réflexion sur ce sujet. La plupart proposent à leurs passagers l’application de tout ou partie de ces mesures comportementales. 
 - Mesures physiques : port de chaussettes de contention. Il s’agit de la seule méthode prophylactique dont l’intérêt soit réellement établi(27,48). Cette méthode de prévention étant d’un coût limité et sans risque, elle est largement recommandée. 
 - Mesures pharmacologiques : il a été démontré que la prise d’aspirine était sans intérêt(49). La question du recours aux anticoagulants reste posée. L’intérêt d’un traitement prophylactique par héparine de bas poids moléculaire semble insuffisamment démontré pour en recommander un usage autrement qu’au cas par cas(49). L’étude de la balance bénéfice/risque prend ici tout son sens. Les dernières recommandations sont extrêmement restrictives(45).   Stratégie de prophylaxie Le risque personnel du passager peut être estimé en recourant à l’analyse des facteurs de risque habituels de la maladie thromboembolique. Trois niveaux de risque sont généralement proposés (tableau 1). 
 La place déterminante du voyage lui-même doit inciter à recommander largement les mesures prophylactiques, y compris pour les patients ne présentant pas ou peu de facteurs de risque thromboembolique intrinsèques. Cette stratification du risque, donc des mesures prophylactiques en fonction de la distance du vol, est absente des recommandations. 
C’est pourquoi nous proposons une autre approche considérant le risque lié au voyage ainsi que celui lié au voyageur (tableau 2).   Tableau 1. (D’après (44) ). Tableau 2.

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