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Thérapeutique

Publié le 21 mar 2017Lecture 7 min

Et si nous reparlions des AVK ?

Michèle DEKER, Paris

Du fait du vieillissement de la population et de l’augmentation des facteurs de risque cardiovasculaire avec l’âge, le nombre de patients traités par un anticoagulant oral ne cesse de progresser. Les anti-vitamine K (AVK) restent largement prescrits, notamment chez les sujets de plus de 75 ans et ce, d’autant plus qu’ils avancent en âge. En témoigne la phase 1 de l’étude CACAO réalisée auprès de 463 médecins généralistes (www.etudecacao.fr), qui montre sur un échantillon de 7 154 patients inclus consécutivement en 2014 pendant 3 mois, que les prescriptions d’anticoagulants concernent majoritairement un AVK (79,7 % versus 20,3 % pour un anticoagulant oral direct [AOD]) et que les patients traités par AVK sont significativement plus âgés et plus souvent porteurs d’une insuffisance rénale modérée. Faire le point sur les AVK, et rappeler les règles de bon usage pour optimiser la pratique et la gestion des complications hémorragiques sont donc indispensables.

Les AVK agissent en inhibant la vitamine K époxyde réductase (VKORC1), enzyme impliquée dans le cycle de la vitamine K ; en diminuant la régénération de la vitamine K réduite, ils diminuent la g-carboxylation des facteurs vitamine K-dépendants et conduisent à la synthèse de facteurs non fonctionnels. Après la mise en route du traitement, l’état d’hypocoagulabilité est atteint progressivement en 6 jours environ et la surveillance repose sur l’INR, qui est sensible à trois facteurs vitamine K-dépendants (FVII, FX et FII), ainsi qu’au FV et au fibrinogène. La variabilité de la réponse thérapeutique dépend de facteurs génétiques affectant le cycle de la vitamine K (VKORC1, CYP4F2), ou le métabolisme et le transport des AVK (CYP2C9, ABCB1), et de facteurs non génétiques (âge, alimentation, comorbidités, comédications). Ainsi, pour l’obtention d’un INR dans la cible thérapeutique, la dose d’AVK peut à l’extrême varier d’un facteur 10(1). Parmi les facteurs non génétiques, il faut relativiser l’impact des apports alimentaires en vitamine K. L’effet sur l’INR reste en réalité très modéré : une augmentation de 500 % des apports alimentaires en vitamine K, ce qui est considérable, entraîne, certes, une diminution de l’INR et, inversement, la diminution des apports, une augmentation de l’INR, mais avec des valeurs qui restent dans la zone thérapeutique ou ne s’en écartent que très peu(2). Par ailleurs, il a été montré que des patients suivant un régime restrictif en vitamine K ont une tendance au déséquilibre des INR alors que ceux ayant une alimentation équilibrée, comportant les aliments les plus riches en vitamine K (salade verte, choux, brocolis, épinards), s’associaient à des INR plus stables(3,4).   Certaines situations déstabilisent la qualité de l’anticoagulation et nécessitent une surveillance rapprochée de l’INR, telles les infections intercurrentes, les modifications du traitement médicamenteux, en particulier l’introduction d’un traitement antibiotique. Dans ces situations, il est donc recommandé de mesurer l’INR deux fois par semaine tant que dure le facteur potentiellement déstabilisant afin d’ajuster la posologie de l’AVK et également d’évaluer le risque de sous-dosage à l’arrêt du traitement. Particularités de la FA du sujet âgé La fibrillation atriale (FA) touche 15 à 20 % des sujets âgés de plus de 85 ans. Cette maladie rythmique à risque embolique est une indication fréquente du traitement anticoagulant. Néanmoins, toutes les FA ne comportent pas le même risque embolique et il existe d’autres causes d’accident vasculaire cérébral ischémique (AVCI). En pratique, la décision d’anticoagulation, prise en fonction du score de risque thrombotique (CHADS2 ou CHA2DS2-VASc), reste une décision probabiliste qui ne recouvre pas toutes les situations à risque. En effet, ce ne sont pas les pathologies associées qui déterminent à elles seules le risque d’embolie, mais surtout l’état de l’oreillette gauche. Hormis les FA sur cœur sain, qui se manifestent sous une forme paroxystique peu emboligène et relèvent du traitement par ablation du foyer au niveau des veines pulmonaires, l’immense majorité des FA concerne des patients hypertendus ayant développé une hypertrophie ventriculaire gauche et une maladie de l’oreillette gauche due à la surcharge barométrique. Cette myopathie atriale consécutive à l’hyperpression dans la cavité auriculaire est caractérisée à l’ECG par une onde P allongée, bifide, peu voltée, qui signe le prélude au développement d’une FA à risque embolique. D’autres signes électrocardiographiques tels que la profondeur et la largeur de l’onde P terminale en V1 permettent de discriminer les patients à risque. L’importance de la dilatation de l’oreillette gauche en échographie est corrélée au risque d’embolie cérébrale. L’IRM et l’échographie trans œsophagienne permettent de compléter cette exploration en mesurant la surface, le diamètre, le volume, la contractilité, le degré de fibrose et la vélocité intracavitaire de l’oreillette, de même que la masse ventriculaire gauche. La réalité de cette myopathie atriale est attestée par des modifications histologiques du myocarde où les travées musculaires sont remplacées par des adipocytes et de la fibrose. La cardiomyopathie hypertensive se manifeste aussi par un endocarde anfractueux qui fait le lit de microthrombi générateurs d’embolies cérébrales, même en l’absence de FA. Du bon usage des AVK chez le sujet âgé Selon les recommandations (Bon usage des médicaments anti-vitamine K, ANSM juillet 2012), la posologie initiale de l’AVK doit être réduite de moitié chez le sujet âgé (> 75 ans, ou > 65 ans polypathologique), afin de limiter le risque de surdosage dès le début du traitement. La dose initiale, toujours probatoire, doit être aussi proche que possible de la dose d’équilibre et dépend de l’AVK choisi, sans cibler une dose initiale trop basse. Le premier contrôle d’INR doit être effectué après le lendemain de la 3e prise d’AVK pour dépister une hypersensibilité individuelle au traitement. La posologie est ensuite adaptée en fonction de l’INR, idéalement en suivant un protocole validé, quand il existe pour l’AVK considéré. La prescription d’un AVK doit toujours être accompagnée d’éléments d’éducation thérapeutique, adaptés individuellement. Bien que l’éducation thérapeutique dans le domaine de l’anticoagulation ait fait l’objet de peu d’évaluations, il apparaît qu’elle exerce un effet protecteur contre le risque hémorragique et qu’elle reste efficace à distance(6,7). La bonne gestion du traitement par AVK, reflétée par le TTR (temps passé dans la zone thérapeutique) est garante du maintien d’un rapport bénéfice/risque en faveur du maintien d’une bonne qualité d’anticoagulation au long cours(8). Cependant, une réévaluation régulière du bénéfice/risque du traitement anticoagulant est indispensable tout au long du traitement. Ainsi, il faut éviter de présenter un traitement par AVK pour une FA comme un traitement « à vie », car le risque hémorragique peut être amené à surpasser le bénéfice antithrombotique selon le contexte clinique d’un patient à un moment de sa vie ; dans ce cas, il faut que le patient et son entourage aient bien intégré cette discussion bénéfice/risque pour admettre un changement d’attitude quant à l’anticoagulation de la FA. Surdosage et complications hémorragiques sous AVK chez le sujet âgé Cette situation est bien réelle, comme en témoigne une enquête transversale nationale française réalisée par la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), évaluant le contrôle de l’INR sur la base du TTR, chez 2 633 patients hospitalisés ou vivant en institution. Parmi les facteurs prédisposant à un mauvais contrôle, on retrouve notamment la notion de prescription récente d’un AVK, des antécédents de saignement majeur, la prescription d’antibiotiques et les chutes. L’âge n’est pas un déterminant majeur du risque hémorragique sous AVK, pas plus que le sexe(9), contrairement aux événements traumatiques, souvent responsables d’hémorragies intracrâniennes.  En cas d’hémorragie intracrânienne consécutive à un traumatisme, la survie est corrélée, entre autres, à l’INR. Ce dernier doit être rapidement corrigé, dans les 4 heures, afin de limiter l’extension de l’hématome, en ciblant une valeur < 1,3(10). La stratégie de réversion d’une hémorragie sous AVK débute par une évaluation tenant compte de la zone anatomique concernée (organe critique tel l’encéphale : hémorragie intracérébrale, hématome sous-dural, hémorragie intraoculaire), de l’état hémodynamique, de la possibilité ou non de réaliser une hémostase (hémorragie gastro-intestinale/cérébrale). Le traitement de réversion doit débuter sans attendre les résultats de l’INR. Le risque hémorragique étant supérieur au risque thrombotique, le motif d’anticoagulation (par exemple valve cardiaque) n’influe pas sur la décision de réversion. La vitamine K seule ne suffit pas pour corriger rapidement l’INR, surtout lorsque ce dernier est très élevé. La réversion fait appel au PPSB associé à la vitamine K. Cette stratégie a montré sa capacité à réduire la mortalité en cas d’hémorragie intracrânienne(11). Cependant, l’activité du facteur IX est éminemment variable selon les patients et mériterait d’être évaluée chez des patients sous AVK dont l’INR est dans la zone thérapeutique 2-3(12). Dans la pratique, les recommandations de prise en charge d’une hémorragie grave sous AVK ne sont pas toujours suivies, par manque d’information ou en raison de difficultés logistiques (pour accéder à l’imagerie ou au PPSB). Il faut être alerté par des signes cliniques mineurs, telles une céphalée ou une douleur abdominale non spécifique, pour rechercher un événement hémorragique et le contrôler le plus rapidement possible en mettant en route la stratégie qui a montré son efficacité : PPSB en urgence pour ramener l’INR < 1,5 ou < 1,3 pour les hémorragies cérébrales, ajouter la vitamine K, réaliser un INR post-réversion et à 6 h. La reprise du traitement anticoagulant sera discutée secondairement. D’après un symposium Merck aux 36es Journées de la SFGG avec la participation de V. Siguret (Paris), P. Chevalier (Lyon), E. Pautas (Paris) et K. Tazarourte (Lyon) Modérateurs : F. Lapostolle (Bobigny) & P. Krolak Salmon (Lyon)

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