Vasculaire
Publié le 01 mar 2019Lecture 6 min
Quelles sténoses carotides asymptomatiques opérer ?
Jean-Louis MAS, service de neurologie, Hôpital Sainte-Anne, Université Paris Descartes, Inserm U1266, Paris
Environ 3 % des hommes et 2 % des femmes ont une sténose carotide athéroscléreuse de plus de 50 %. Après 80 ans, la prévalence est d’environ 10 % chez les hommes et 6 % chez les femmes. Ces sténoses sont responsables d’environ 10 % des infarctus cérébraux et des accidents ischémiques transitoires. Le traitement de ces sténoses avant la survenue du premier infarctus cérébral apparaît donc logique. Bien que deux essais randomisés anciens aient montré que la chirurgie carotide réduit significativement le risque d’infarctus cérébral chez les patients ayant une sténose carotide asymptomatique, le bénéfice de cette intervention est de plus en plus controversé, en raison du faible risque de premier infarctus cérébral sous traitement médical optimal.
Les essais randomisés
Chirurgie versus traitement médical
Deux essais randomisés — ACAS (1 662 patients de moins de 80 ans inclus entre 1987 et 1993) et ACST-1 (3 120 patients inclus entre 1993 et 2003) — ont montré que, comparativement au traitement médical seul, la chirurgie carotide réduisait d’environ 50 % le risque à 5 ans d’AVC homolatéral (ACAS) ou de tout AVC (ACST-1), incluant les AVC et décès périopératoires (dans les 30 jours suivant l’intervention), chez les patients ayant une sténose carotide asymptomatique ≥ 60 %. Dans ACST-1 où des patients de tout âge pouvaient être inclus, ceux âgés de plus de 75 ans (n = 650) ne bénéficiaient pas de la chirurgie.
Stenting versus chirurgie
Deux essais randomisés contemporains, CREST (1 181 patients) et ACT I (1 453 patients), ont comparé le stenting à la chirurgie carotide chez des patients asymptomatiques. Dans ces études, le risque d’AVC périopératoire était plus élevé chez les patients traités par stenting. Passé J30, le risque d’infarctus cérébral homolatéral était faible et ne différait pas selon la technique. La critique majeure à l’encontre de ces études est l’absence de groupe contrôle de patients sous traitement médical optimal seul.
Une revue systématique récente de registres administratifs (> 1,5 million d’interventions) a confirmé l’excès de risque du stenting.
Celui-ci dépassait 3 % (limite maximale recommandée par l’AHA/ASA pour envisager une revascularisation carotide chez des patients asymptomatiques) dans 40 % des registres.
La controverse sur le bénéfice de la revascularisation carotide
Malgré deux essais randomisés positifs, le bénéfice de la chirurgie des sténoses carotides asymptomatiques est de plus en plus controversé. En témoigne la proportion très variable d’un pays à l’autre des endartériectomies carotides réalisées pour une sténose carotide asymptomatique, allant de 0 % au Danemark, à 16 % au Royaume-Uni, 68 % en Italie et 90 % aux États- Unis. La controverse repose sur le fait que les patients ayant une sténose carotide asymptomatique ont un faible risque d’infarctus homolatéral, ne permettant d’escompter qu’un bénéfice modeste de la chirurgie. Dans les bras médicaux d’ACAS et d’ACST, le risque annuel d’AVC homolatéral était d’environ 2 % et la réduction absolue de risque par la chirurgie de 1 % par an, soit 100 patients à opérer pour éviter un AVC à 1 an.
Cette controverse s’est accentuée avec le constat que le risque annuel d’AVC homolatéral chez les patients traités médicalement est nettement plus faible actuellement qu’il ne l’était dans ACAS et ACST. Cette diminution du risque annuel d’AVC homolatéral était déjà apparente chez les patients randomisés dans le groupe médical des essais thérapeutiques : 2,2 % dans ACAS publié en 1995, 1,1 % dans les 5 premières années d’ACST publié en 2004 et 0,7 % dans les 5 dernières années de cette étude.
On estime actuellement que le risque annuel global d’infarctus cérébral homolatéral à une sténose carotide asymptomatique se situe entre 0,5 % et 1 %.
Ce déclin du risque d’AVC est vraisemblablement à mettre au crédit des progrès du traitement médical de prévention vasculaire, en particulier une utilisation plus large des statines, mais également un contrôle plus strict de la pression artérielle et une diminution du tabagisme. La question est donc posée du bénéfice additionnel de la chirurgie carotide chez des patients sous traitement médical optimal, même si les risques de la chirurgie ont aussi diminué avec le temps. Ils étaient de 1,4 % et 1,7 % dans deux essais thérapeutiques récents (CREST et ACT I), en sachant cependant que les risques des procédures interventionnelles sont globalement plus élevés en pratique courante que dans les essais randomisés.
Quels pourraient être les meilleurs candidats à la chirurgie ?
Dans la mesure où le bénéfice global de la revascularisation carotide est, au mieux, marginal, il est crucial d’identifier les patients porteurs d’une sténose carotide asymptomatique ayant un risque d’infarctus homolatéral plus élevé que la moyenne, qui pourraient bénéficier d’une revascularisation carotide. Les principaux facteurs associés à un risque plus élevé d’infarctus cérébral homolatéral à une sténose carotide asymptomatique figurent dans le tableau. Il est important de noter que les études ayant identifié ces facteurs ont pour la plupart porté sur de faibles effectifs chez des patients qui n’ont probablement pas tous bénéficié d’un traitement médical moderne et chez lesquels le bénéfice de la chirurgie n’a pas été évalué.
L’espérance de vie du patient est un facteur clé de décision d’une revascularisation carotide.
Toute condition qui réduit l’espérance de vie limite le bénéfice potentiel net de la revascularisation. Une espérance de vie d’au moins 5 ans est généralement recommandée pour considérer que la revascularisation carotide pourrait apporter un bénéfice.
De nouveaux essais randomisés, ECST-2 (ISRCTN 97744893), CREST-2 (NCT02089217), ACTRIS (NCT02841098) sont en cours ou sur le point de démarrer pour réévaluer le bénéfice d’une revascularisation carotide par rapport à un traitement médical moderne seul chez les patients ayant une sténose carotide asymptomatique. L’étude française ACTRIS (NCT02841098) vise à montrer la supériorité de la chirurgie carotide sur le traitement médical optimal chez des patients sélectionnés sur des caractéristiques associées à un risque plus élevé que la moyenne d’infarctus cérébral ipsilatéral (figure 1).
Figure 1. Étude ACTRIS.
En attendant les résultats de ces essais, la Société européenne de chirurgie vasculaire et la Société européenne de cardiologie ont récemment proposé d’envisager une chirurgie carotide en cas de sténose asymptomatique de 60-99 % chez les patients ayant au moins un facteur associé à un risque plus élevé d’infarctus cérébral homolatéral, sous réserve que l’intervention puisse être réalisé avec un risque d’AVC ou décès à J30 < 3 % et que l’espérance de vie du patient soit supérieure à 5 ans (classe IIa, niveau B). Sous les mêmes conditions, le stenting carotide peut être une alternative à la chirurgie, notamment si le patient est considéré à haut risque chirurgical (classe IIb, niveau B).
Au total
La valeur ajoutée de la revascularisation des sténoses carotides asymptomatiques chez les patients recevant un traitement médical optimal est incertain. Il est en cours de réévaluation dans des essais randomisés. En attendant les résultats de ces études, la décision d’une revascularisation carotide ne semble devoir être envisagée que chez des patients ayant des caractéristiques associées à un risque plus élevé que la moyenne d’infarctus cérébral homolatéral, ayant une espérance de vie permettant d’envisager un réel bénéfice du traitement et ayant été informés des risques d’infarctus cérébral homolatéral sous traitement médical seul, ainsi que des risques et des incertitudes sur les bénéfices de la revascularisation par chirurgie ou stenting carotide.
Qu’un geste de revascularisation soit ou non indiqué, le traitement médical de prévention vasculaire est indispensable pour diminuer non seulement le risque d’événement cérébrovasculaire, mais aussi celui d’événement cardiovasculaire.
La participation des patients aux essais thérapeutiques en cours ou en préparation est capitale pour résoudre les incertitudes actuelles sur le bénéfice de la revascularisation des sténoses carotides asymptomatiques.
Figure 2. Prise en charge des sténoses carotides asymptomatiques.
D’après Aboyans et al. ESC Guidelines on the diagnosis and treatment of peripheral arterial diseases, developed in collaboration with the European Society for Vascular Surgery (ESVS). Eur Heart J 2017.
En pratique
Le risque de premier infarctus cérébral dans le territoire d’une sténose carotide athéroscléreuse de 60 % ou plus a diminué au cours des 20 dernières années. Il est globalement inférieur à 1 % par an.
La valeur ajoutée de la revascularisation des sténoses carotides asymptomatiques chez les patients recevant un traitement médical optimal est controversée et fait l’objet de nouveaux essais thérapeutiques.
La décision de revasculariser une sténose carotide asymptomatique doit être individualisée en tenant compte des caractéristiques du patient associées à un plus haut risque d’infarctus cérébral ipsilatéral et de son espérance de vie.
La participation des patients aux essais thérapeutiques est capitale pour résoudre les incertitudes actuelles sur le bénéfice de la revascularisation des sténoses carotides asymptomatiques.
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