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Cardiologie interventionnelle

Publié le 02 mar 2021Lecture 11 min

Cardiologie interventionnelle : peut-on encore progresser ?

Clément SERVOZ, Didier CARRIÉ, service de cardiologie, CHU Rangueil, Toulouse

Poser la question des futurs progrès de la cardiologie interventionnelle à 5-10 ans peut paraître prétentieux ou saugrenu tant le passé nous a montré à quel point il fallait rester prudent dans ce type d’exercice. Toutefois, la vitesse avec laquelle notre discipline a évolué durant la dernière décennie (miniaturisation des procédures, revascularisation des patients complexes, assistances circulatoires, etc.), mérite de se « jeter à l’eau » et de réfléchir aux thématiques qui semblent... s’imposer à moyen terme dans notre quotidien de cardiologue interventionnel. Par souci de clarté et d’exhaustivité, nous centrerons nos propos uniquement sur la pathologie coronaire.

Physiopathologie et diagnostic Analyse morphologique Sur le plan diagnostique, le coroscanner devrait petit à petit se substituer à l’angiocoronarographie. En effet, la quantification visuelle d’une lésion par angiographie par plan ne sera plus la technique de référence. La mesure de la FFR (fractionnal flow reserve) deviendra non invasive et permettra de déterminer avec précision la sévérité et le territoire de l’ischémie myocardique. Si l’IVUS et l’OCT nous ont beaucoup apporté pour la compréhension et l’analyse morphologique des lésions coronaires, la vraie révolution pourrait passer par l’imagerie endocoronaire sophistiquée permettant de dépister les plaques instables. Si notre pratique aujourd’hui est le traitement de l’ischémie myocardique, nous pourrions à l’avenir traiter certaines plaques, afin de prévenir leur rupture. L’IVUS-NIR (near-infrared spectroscopy), par exemple, qui est une technique encore réservée à la recherche, permet une analyse morphologique combinée à une analyse par infrarouge pour identifier la vulnérabilité d’une plaque(1). Des microcapteurs endocoronaires pourraient aussi jouer un rôle dans le déterminisme de ces lésions instables, éruptives et donc menaçantes. Analyse physiologique Nous l’avons dit, les mesures de la FFR et de l’iFR (instantaneous wave-free ratio) se sont imposées au cours des dernières années comme des outils indispensables dans la prise en charge diagnostique des lésions coronaires intermédiaires. Même si en 2019, elles ne représentaient encore que 19 % des examens en France, le remboursement n’a fait qu’accélérer leur utilisation en routine. Dans les années à venir, la physiologie devrait prendre une place encore plus importante pour guider l’angioplastie. Grâce à une simplification de son utilisation, elle sera utilisée en routine. La QFR (quantitative flow ratio) permettrait, par exemple, une mesure instantanée et sans guide de pression(2). Le gain de temps sera alors significatif tout en diminuant le risque de complication lié à l’utilisation de guides souvent complexes à manipuler. Une reconstruction tridimensionnelle de l’artère est créée rétrospectivement à partir de l’angiographie enregistrée. Les résistances au travers d’une lésion sont alors calculées à partir de cette reconstruction. L’injection d’adénosine n’est donc plus nécessaire. Les premiers résultats sont encourageants avec de plus en plus de données validant son utilisation. Sa principale limite, qui sera sûrement levée dans les années à venir, reste sa zone grise plus large que celle de la FFR. Les autres limites sont imposées par l’analyse rétrospective de l’angiographie. Enfin, bien que la FFR dérivée de l’angiographie soit très prometteuse par son étroite corrélation avec la FFR invasive, il n’y a à l’heure actuelle aucun essai montrant un bénéfice clinique. Toutefois, ces travaux sont en cours et vont dans le sens à moyen terme de mesures non invasives qui réduiront encore le nombre de coronarographies à visée diagnostique. Étude de la microcirculation Si l’étude de la microcirculation commence à devenir un facteur pronostique après infarctus du myocarde transmural, le futur du cardiologue interventionnel va passer par le dépistage d’une entité trop longtemps sous-diagnostiquée et par conséquent sous traitée, les INOCA pour Ischaemia with Non-Obstructive Coronary Arteries(3). Sous cet acronyme, il est regroupé l’angor microcirculatoire et l’angor vasospastique (épicardique ou microcirculatoire). Ces syndromes sont secondaires à une inadéquation entre les apports et les besoins en oxygène. L’angor est en général typique et dans le cas de l’atteinte microcirculatoire, un test non invasif atteste d’une ischémie myocardique. La coronarographie ne permet pas de retrouver une lésion coronaire épicardique et la mesure de la FFR, si elle est réalisée, est supérieure à 0,80. Diagnostiquer et traiter les patients atteints d’une dysfonction microvasculaire deviendra indispensable. Cela permettra d’améliorer leurs symptômes, leur qualité de vie et de prendre en charge au mieux leurs facteurs de risques cardiovasculaires. En effet, ces patients présentent une incidence d’événements cardiovasculaires comparable à celle des patients ayant une atteinte des artères épicardiques. Actuellement, aucune technique ne permet une visualisation anatomique directe in vivo de la microcirculation coronaire. Son analyse peut se faire par des examens non invasifs comme la tomographie par émission de positons (TEP) ou l’IRM. L’autre moyen diagnostique passe par une mesure invasive des résistances. Dans ce cas, son évaluation repose sur la mesure de paramètres qui reflètent l’état fonctionnel comme la réserve coronaire dite CFR pour coronary flow reserve. Il s’agit d’un rapport du débit sanguin en réponse à un stimulus vasoactif divisé par le débit sanguin de repos. Le diagnostic peut se faire par thermodilution coronaire à l’aide d’un guide avec capteur thermique (PressureWire™ XTM, Abbott Vascular) ou une technique par Doppler (ComboWire XT ou FloWire, Philips Volcano). Dans la majorité des études, la valeur seuil pronostique de la CFR a été retrouvée à 2,0. La résistance microcirculatoire, elle, peut être calculée en combinant des mesures de pressions et de débits par thermodilution ou par Doppler. L’indice de résistance microvasculaire (IMR) est calculé comme le produit de la pression maximale distale à l’hyperémie maximale multipliée par le temps moyen de l’hyperémie. L’IMR supérieur ou égal à 25 est représentatif d’une dysfonction microvasculaire. Une autre technique de thermodilution grâce à une infusion continue de sérum salé, permet de calculer les résistances absolues et microcirculatoires sans utilisation d’un agent pharmacologique (RayFlow™, Hexacath). Cette technique permet également une mesure de la FFR avec une bonne reproductibilité. Les recommandations de 2019 de la Société européenne de cardiologie (ESC) ont donné une recommandation IIa (« Devrait être envisagé ») à la mesure invasive de la réserve coronaire et/ou des résistances microcirculatoires chez les patients présentant un angor persistant avec une coronarographie à coronaires saines ou avec des sténoses modérées sans retentissement fonctionnel(4). Dans un futur proche, l’étude microcirculatoire devrait donc se généraliser. Nouvelle technologies La robotisation L’autre révolution de la cardiologie interventionnelle sera technologique. Dans certaines spécialités, la robotisation est installée depuis maintenant plusieurs années, l’urologie en est le plus bel exemple. Elle reste encore à la marge en cardiologie. Les robots actuels permettent de manipuler les guides et les cathéters à l’aide de joysticks. L’opérateur procédant à l’intervention est protégé derrière une vitre en plomb. L’objectif est double pour le cardiologue interventionnel. Pour l’intervention, il s’agit d’avoir des gestes plus précis en déplaçant par exemple un stent millimètre par millimètre. Pour l’opérateur, cela permet d’avoir une position confortable et ergonomique tout en évitant l’exposition aux rayons et le port du tablier plombé. Il a été montré une diminution de 95 % de rayons reçus par l’opérateur grâce au robot(5). Deux sociétés ont développé ce type de robot : Corindus Vascular Robotic (rachetée récemment par Siemens) qui a été la première à pratiquer une angioplastie coronaire en 2011 grâce au CorPath® 200 et la société française Robocath(6). Actuellement, la deuxième génération de robots a été présentée, il s’agit du CorPath® GRX. Son concurrent est développé par Robocath qui a mis au point un robot, le R-One™ dont le marquage CE a été obtenu en 2019 (figure 1). Les premières angioplasties ont été réalisées avec succès en septembre 2019. Même si la place de ces robots reste encore à définir, ces technologies vont probablement bouleverser notre pratique dans les années à venir. On peut imaginer que la prochaine étape sera probablement l’arrivée de la robotique dans le structurel. Le frein principal de ces outils reste à l’heure actuelle leur coût. Les deux machines ont un prix à peu près équivalent d’un peu moins de 700 000 euros. Figure 1. Robot R-One™ pour angioplastie coronaire (Robocath). Formation et technologie La simulation s’est largement développée comme un outil pédagogique intéressant aux cours de ces dernières années. Il est admis que dans un futur proche, que la formation initiale passera avant tout geste sur un malade par une obligation d’apprentissage sur simulateur (figure 2). L’étudiant mis en situation aura la possibilité d’acquérir la compétence de gestes simples tout en appréhendant la manipulation du matériel. Lorsque qu’il se retrouvera confronté à ses premiers examens, la sécurité sera maximisée. On peut également imaginer une généralisation de l’utilisation de la simulation pour un cardiologue plus avancé dans sa pratique. La simulation permettrait alors par exemple de s’exercer à la gestion humaine et technique d’une complication. Si cette dernière se produisait, le cardiologue serait alors mieux armé pour gérer le stress et les équipes s’il était déjà exercé à la gestion technique. Il est maintenant établi que la simulation réduit significativement le nombre de complications en clinique humaine et va prendre dans les années à venir une place de plus en plus importante dans la formation médicale incluant bien sûr celle du cardiologue interventionnel. Figure 2. Exemple de simulateur, ANGIO Mentor™ (Symbionix). Les stents biorésorbables Dans les années 2000-2010, les stents biorésorbables ont fait une entrée fracassante dans le monde de la cardiologie interventionnelle. L’objectif était d’avoir une diminution de l’inflammation causée par le stent et le polymère. À terme, cela permettait à l’artère de récupérer son état physiologique et un endothélium intact mais les résultats des premiers essais cliniques ont mis un coup de frein à l’engouement général. Un signal d’alerte avait été émis devant une augmentation des thromboses tardives et des infarctus du myocarde de l’artère traitée. Par la suite, il a été montré que, sur le long terme, ce sur-risque diminuait. Au fil des années, de nouveaux stents biorésorbables présentant des améliorations technologiques sont apparus. On peut citer le stent Fantom® (Reva Medical), un stent libérant du sirolimus jusqu’à 6 mois (figure 3). Figure 3. Stent Fantom® (Reva Medical). La principale évolution technologique de ce stent réside dans ses mailles fines. Dans l’étude FANTOM II portant sur 240 patients, le taux d’événements cardiovasculaires majeurs liés à la lésion était faible : 2,1 % à 6 mois, le taux de thrombose à 24 mois était lui de 0,4 %(7). Un essai randomisé devrait bientôt le comparer au DES de référence afin de confirmer ces résultats. Les stents biorésorbables de première génération n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Si les résultats très encourageants des stents biorésorbables de nouvelle génération venaient à se confirmer, une nouvelle étape pourrait être franchie dans l’angioplastie. Au cours des dernières années, les stents actifs ont considérablement progressé jusqu’à obtenir des taux de thromboses et de resténoses extrêmement bas. Ils vont encore progresser grâce à l’amélioration des plateformes bioactives, mais également grâce à la diversification des substances délivrées (interleukines, inhibiteurs de facteurs de croissance, substances antiinflammatoires, etc.). Ces substances agiront sur d’autres acteurs de l’athérosclérose et de l’inflammation et pourraient jouer un rôle dans notre arsenal thérapeutique. Bases de données Les registres France TAVI et France PC Le registre France TAVI a vu le jour en 2013. Avec une inclusion de 1 500 à 2 000 patients par an, c’est un peu plus de 60 000 patients qui ont été inclus dans 52 centres depuis sa création. Depuis 2019, ce registre s’intitule France TAVI SNDS et combine en plus une analyse croisée avec la base nationale du Système national des données de santé (SNDS). Le suivi des patients est alors automatique et facilité. Ce registre exhaustif permet de donner une photographie de notre activité et de nos pratiques. Depuis sa création, il hisse notre pays au milieu de ceux ayant des grands registres européens et internationaux. La France était en revanche jusqu’à peu, un des derniers pays européens n’ayant pas de registre national coronaire. Les choses ont été rétablies. Au cours des dernières années sous l’impulsion du GACI (Groupe d’athérosclérose et de cardiologie interventionnelle) et du CRAC (Club régional des angioplasticiens du centre), le registre France PCI (Percutaneous Coronary Intervention) a vu le jour. Son objectif est de recenser les activités de coronarographie et d’angioplastie coronaire en France. À terme, cela va, là encore, fournir des bases de données grâce à un très grand nombre de patients. Il sera alors possible de réaliser un état des lieux de nos pratiques (pertinence des actes) demandées par nos tutelles, mais également d’utiliser toutes ces données pour des travaux de recherche clinique de grande ampleur. Car dans le futur encore plus qu’aujourd’hui, notre pratique, sera guidée par les registres, les cohortes et les « big data ». L’intelligence artificielle Enfin, comme dans toutes les spécialités, l’intelligence artificielle dite IA va inévitablement être utilisée en pratique quotidienne. L’IA englobe de larges utilisations d’algorithmes mathématiques appliqués au soin et à la santé. L’imagerie est probablement en cardiologie la plus avancée dans ce domaine. En rythmologie, l’IA sert par exemple à guider les ablations de FA ou encore à faciliter l’analyse des Holter-ECG. Pour le cardiologue interventionnel, la première utilisation de l’IA passera par une aide dans le suivi du patient coronarien. L’analyse d’une multitude de variables d’un patient grâce à des algorithmes va nous faire basculer vers une médecine à modèle prédictif. Le risque d’événement, le rythme des tests d’ischémies, du suivi, etc. seront alors individualisés et modélisés à partir d’un très large éventail de paramètres uniques à chaque patient. L’objectif revendiqué est l’obtention d’une médecine adaptée à l’individu. Indirectement, cela pourra permettre d’éviter certains examens futiles. En salle de cathétérisme, l’IA pourrait se voir appliquée dans l’analyse virtuelle et dans la reconstruction des coronaires. Des outils mathématiques vont également permettre l’analyse fonctionnelle et morphologique. Dans le domaine du structurel, on peut citer la réalité virtuelle qui sera utilisée pour la planification d’une procédure en permettant de visualiser les structures en trois dimensions. L’IA est en passe de transformer la pratique de la cardiologie interventionnelle. Si l’objectif rendu est une amélioration des résultats et du soin aux patients, alors elle devrait s’imposer naturellement dans les années à venir. Conclusion ▸ À la question, la cardiologie interventionnelle peutelle encore progresser ? la réponse est oui. Une multitude d’avancées devrait bouleverser notre pratique future. ▸ L’analyse morphologique va continuer de progresser. L’étude de la physiologie dont la microcirculation par sa simplification, va devenir routinière. ▸ Les avancées technologiques vont modifier la formation par la simulation et la pratique par la robotisation. ▸ Les stents vont poursuivre leurs avancées. ▸ L’IA, les big data et les données des registres français vont guider nos futures prises en charge. Publié dans Cath'Lab

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