Coronaires
Publié le 20 avr 2004Lecture 8 min
Le traitement pharmacologique de l’angor stable en 2004
T. LAPERCHE et J.-M. SCHOLL, centre cardiologique du Nord, Saint-Denis
Malgré l’essor spectaculaire des techniques de revascularisation coronaire, par angioplastie ou par pontage aorto-coronarien, il reste encore beaucoup d’indications au traitement pharmacologique de l’angor stable. Certes, ce choix peut être résigné si les lésions coronaires ne sont pas accessibles à un geste de revascularisation, mais il peut être aussi mûrement réfléchi si les lésions ne justifient pas un geste de revascularisation. En effet, la revascularisation, en dehors des lésions du tronc commun, de l’interventriculaire antérieure proximale ou de lésions pluritronculaires survenant sur un ventricule gauche de fonction contractile altérée, n’a pas démontré d’amélioration du pronostic à long terme comparativement au traitement médical.
Même si les indications d’angioplastie coronaire ont explosé, même si les procédures chirurgicales ont bénéficié des progrès technologiques, la quasi-totalité de nos coronariens reste sous traitement médical, qu’ils aient eu recours ou non à une procédure de revascularisation.
Il est d’emblée intéressant de constater que l’objectif thérapeutique dans l’angor stable est double :
- d’une part soulager les symptômes ;
- d’autre part améliorer le pronostic.
Ces deux objectifs nécessitent le recours à des médicaments bien différents puisque les traitements anti-ischémiques, prescrits en première intention dans cette pathologie, ne sont pas ceux qui améliorent le pronostic des patients.
Médicaments anti-ischémiques
Les bêtabloquants
Ils constituent la pierre angulaire du traitement anti-ischémique. Leur effet anti-ischémique est médié par leur action inotrope négative, leur effet bradycardisant et leur action hypotensive, ces propriétés entraînant une diminution des besoins en oxygène du myocarde. De plus, le ralentissement de la fréquence cardiaque favorise la perfusion myocardique par le biais d’un allongement de la diastole. Il est courant de moduler la dose des bêtabloquants pour obtenir une fréquence cardiaque située entre 50 et 60 pulsations/min. L’épreuve d’effort permet par ailleurs de s’assurer du contrôle satisfaisant de la fréquence à l’effort.
Il n’est pas démontré de supériorité d’un bêtabloquant par rapport à un autre, que les bêtabloquants soient cardiosélectifs ou dotés d’une activité sympathique intrinsèque. Si, dans le postinfarctus, ils ont une action positive sur la réduction de mortalité, dans l’angor stable, aucune étude de mortalité n’ayant été réalisée, il est impossible de conclure quant à leur efficacité pour améliorer le pronostic de ces patients. Seule l’étude ASIST avec l’aténolol avait montré à un an une réduction des événements graves, mais la différence observée n’avait pas atteint le seuil de significativité statistique.
Les inhibiteurs calciques
Les molécules de cette classe très hétérogène ont comme point commun la réduction du flux calcique transmembranaire via les canaux calciques. Il en résulte un effet inotrope négatif et une vasodilatation périphérique, mais aussi coronaire, notamment au niveau épicardique. Pour certains d’entre eux (diltiazem et vérapamil) s’ajoute une action bradycardisante.
Leur action anti-ischémique est comparable à celle des bêtabloquants (étude APSIS comparant vérapamil vs métoprolol, étude TIBET comparant nifédipine LP vs aténolol vs l’association des deux), tant sur la diminution des crises angineuses que sur l’allongement de la durée d’effort.
Prescrits isolément, les inhibiteurs calciques n’ont pas d’effet bénéfique sur la mortalité chez le coronarien stable.
Les dérivés nitrés
Historiquement, ce furent les premiers médicaments antiangineux, leur effet anti-ischémique résultant d’une diminution de la précharge (et donc de la demande myocardique en oxygène), mais aussi d’une vasodilatation des artères épicardiques. Ils ont une action bénéfique sur la tolérance à l’effort en retardant le seuil ischémique.
Leur inconvénient principal est la survenue d’un échappement, diminuant leur efficacité clinique, qui est contrecarré par une administration ménageant un intervalle libre de quelques heures.
La molsidomine
Ses propriétés pharmacologiques sont comparables à celles des dérivés nitrés. La molsidomine augmente la capacitance veineuse, induisant ainsi une réduction du retour veineux. La pression artérielle systémique a tendance à s’abaisser et ce phénomène, joint à la réduction du retour veineux, entraîne une diminution de la tension pariétale du ventricule gauche et donc de la consommation d’oxygène du myocarde. Par ailleurs, elle provoque une redistribution du sang de l’épicarde vers l’endocarde, et ce, tout particulièrement au niveau des zones ischémiques. Elle induit une relaxation de la fibre vasculaire lisse et entraîne ainsi une dilatation des gros troncs épicardiques.
Les agonistes des canaux potassiques
L’activation des canaux potassiques ATP-dépendants, en augmentant le potentiel de membrane réduit l’entrée de calcium par les canaux calciques voltage-dépendants et conduit à une relaxation des vaisseaux de résistance.
De plus, par un mécanisme comparable à celui des nitrés, le GMP cyclique intracellulaire augmente, d’où une relaxation des vaisseaux de conductance et de capacitance. Ces deux mécanismes concourent à une redistribution du flux coronarien au profit des régions sous-endocardiques et à une diminution de l’ischémie myocardique.
Enfin, une baisse de la précharge et de la postcharge réduit la consommation d’oxygène par le myocarde.
L’étude IONA, parue récemment, a montré l’intérêt du nicorandil chez les coronariens stables, à risque cardio-vasculaire élevé, recevant déjà un traitement antiangineux optimal. Chez 5 126 coronariens suivis de 1 à 3 ans, dont 86 % recevaient un dérivé nitré, 57 % un bêtabloquant et 55 % un inhibiteur calcique, l’incidence de la mortalité, des infarctus et des hospitalisations pour angor a été significativement réduite de 17 % (p = 0,014) ;
- le nombre des décès et des infarctus n’a toutefois pas diminué de façon significative, mais le taux de réduction (21 %) a été proche du seuil de significativité ;
- l’incidence de survenue d’un syndrome coronarien aigu a été significativement abaissée de 14 %.
Précisons que ces trois dernières classes pharmacologiques (dérivés nitrés, molsidomine, nicorandil) contre-indiquent l’utilisation des médicaments contre les troubles de l’érection (sildénafil, tadalafil, vardénafil).
La trimétazidine
En préservant le métabolisme énergétique de la cellule exposée à l’hypoxie ou à l’ischémie, cette molécule empêche l’abaissement du taux intracellulaire de l’ATP. Elle assure ainsi le fonctionnement des pompes ioniques et des flux transmembranaires sodium-potassium et maintient l’homéostasie cellulaire.
Association de plusieurs anti-ischémiques
Il est toujours intéressant d’associer les différents antiangineux en essayant si possible de prescrire un bêtabloquant en l’absence de contre-indications. Les associations bêtabloquants-inhibiteurs calciques ou bêtabloquants-dérivés nitrés sont les plus employées, mais les autres anti-ischémiques ont toute légitimité pour être prescrits en association aux bêtabloquants.
Cependant, jusqu’où faut-il aller dans le nombre des traitements anti-ischémiques ? Il n’y a pas d’étude qui montre le bénéfice d’une trithérapie anti-ischémique par rapport à une bithérapie.
Médicaments améliorant le pronostic
Aspirine
Comme dans les autres formes de la maladie coronaire (angor instable, infarctus), l’aspirine réduit de façon significative la survenue d’événements cardio-vasculaires défavorables, la réduction étant de l’ordre de 30 % par comparaison au placebo. L’efficacité est démontrée avec des doses > 75 mg/j mais pas aux doses plus faibles.
Statines
Ces molécules sont devenues incontournables dans le traitement des coronariens stables. La réduction du taux de LDL cholestérol qu’elles entraînent s’accompagne d’une diminution importante (30 à 35 %) de la mortalité cardio-vasculaire et des événements coronariens majeurs. Si leur efficacité sur le pronostic a été démontrée en premier avec l’étude 4S (Scandinavian Simvastatin Survival Study) chez des sujets hypercholestérolémiques, nous savons, depuis les résultats de l’étude HPS (Heart Protection Study), réalisée avec 40 mg de simvastatine, qu’elles réduisent aussi de façon importante le risque cardio-vasculaire et plus particulièrement le risque coronaire, chez les coronariens, indépendamment du taux de LDL cholestérol, même si ce dernier est normal. De plus, les résultats de l’étude REVERSAL (REVERSing of atherosclerosis with Aggressive Lipid lowering study) rapportés au dernier congrès de l’AHA, montrent que de fortes doses d’atorvastatine stoppent la progression de l’athérome coronaire.
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion
C’est sûrement la composante le plus inattendue du traitement, mais les preuves de l’efficacité à long terme de ces médicaments sont bien réelles.
• L’étude HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation study), avec le ramipril 10 mg/j, a montré, par comparaison à un placebo, une réduction significative de 22 % du nombre des décès cardio-vasculaires, des infarctus et des accidents vasculaires cérébraux chez les patients à haut risque cardio-vasculaire. En outre, le bénéfice est indépendant de la baisse de la pression artérielle.
• Chez les coronariens à faible risque, l’étude EUROPA (EUropean trial on Reduction Of cardiac events with Perindopril in stable coronary Artery disease), avec le perindopril 8 mg/j, a montré une réduction importante (– 20 %) et significative du critère combiné décès cardio-vasculaire-infarctus du myocarde-arrêt cardiaque, comparativement au placebo. Un éventuel effet de classe des IEC est débattu mais non encore démontré.
Que retenir au terme de ce survol, en 2004 ?
Il n’y a rien de mieux que la trinitrine sublinguale pour faire céder la crise d’angine de poitrine.
Les coronariens ne sont pas des candidats systématiques à une procédure de revascularisation, si efficace soit-elle. Le traitement médical ne doit pas être une roue de secours en cas d’échec ou de non-recours aux précédentes procédures, mais plutôt une alternative ayant une efficacité comparable chez les mono- et bitronculaires sans atteinte de l’interventriculaire antérieure proximale et chez les tritronculaires sans dysfonction ventriculaire gauche. Ce traitement anti-ischémique passe en premier lieu par les bêtabloquants, mais les autres anti-ischémiques sont une alternative ou un complément aux bêtabloquants.
Toutes les pistes pharmacologiques n’ont pas encore été épuisées, une nouvelle classe d’agents anti-ischémiques pointe en effet son nez, les inhibiteurs sélectifs et spécifiques du canal If au niveau du nœud sinusal, représentés par l’ivabradine, agent bradycardisant.
Si nous avons l’habitude de prescrire en sus des anti-ischémiques un traitement antiagrégant et une statine, il va falloir prendre l’habitude de prescrire un inhibiteur de l’enzyme de conversion, l’amélioration du pronostic passant non par les anti-ischémiques, mais par les classes pharmacologiques précédentes.
Il faut toujours penser à demander à nos coronariens s’ils ne prennent pas un traitement oral contre les troubles de l’érection, traitement contre-indiqué en association à certains antiangineux (dérivés nitrés, nicorandil, molsidomine). Par ailleurs, le traitement hormonal substitutif est déconseillé chez les patientes coronariennes.
Tous ces médicaments efficaces ne sauraient en aucun cas nous dispenser de faire de la prévention et d’aider nos patients à lutter contre le tabagisme, le surpoids, le diabète, l’hypercholestérolémie et la sédentarité, mais encore faut-il s’y investir et montrer l’exemple !
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