Publié le 20 mai 2008Lecture 4 min
Phéochromocytome compliqué d'une cholécystite alithiasique
T. MEDAGHRI ALAOUI, S. ABIR-KHALIL, O. BENSAOUD, L. BOUCHAARA, M. OUAZZANI et M. BOURAQUADI, CHU Sina Rabat
Le phéochromocytome est une tumeur secrétant les catécholamines et siégeant souvent au niveau des médullosurrénales. Elle est responsable d’ischémie viscérale par vasospasme secondaire à un largage massif de catécholamines lui-même secondaire à une nécrose tumorale. D’où l’intérêt d’une technique d’anesthésie particulière avant la chirurgie de cette tumeur et de sa manipulation prudente.
Observation
Un patient âgé de 35 ans, ayant des antécédents familiaux d’hypertension artérielle (HTA), a été admis pour bilan étiologique d’une hypertension artérielle sévère résistante à une trithérapie (bêtabloquants-diurétique-antagoniste de récepteur de l’angiotensine 2). L’hypertension artérielle avait été découverte 2 ans auparavant à l’occasion d’une consultation pour céphalées pulsatiles, sueurs profuses et surtout palpitations.
À l’examen clinique, la tension artérielle était de 160/110 mmHg avec un souffle systolique au foyer mitral. Il n’y avait pas de signe d’insuffisance cardiaque.
L’électrocardiogramme montrait une tachycardie sinusale à 100/min et une hypertrophie ventriculaire gauche systolique. À la radiographie pulmonaire, le rapport cardiothoracique était à 55 %.
L’échocardiographie transthoracique montrait un ventricule gauche légèrement dilaté (diamètre télédiastolique à 57 mm), une hypertrophie ventriculaire gauche et une hypokinésie globale, une fraction d’éjection à 40 %, une insuffisance mitrale grade II-III, et une insuffisance tricuspide grade II (avec une pression artérielle pulmonaire systolique à 40 mmHg).
La fonction rénale était normale : urée à 0,33 g/l, créatinine à 11 mg/l.
L’artériographie rénale a éliminé une sténose des artères rénales.
Devant l’association d’une HTA et de la triade céphalées, sueurs, palpitations, un phéochromocytome a été suspecté d’autant plus que le patient était jeune. Ce diagnostic a été confirmé par le dosage de métanéphrines (taux à 0,06 ng/24 h) et de normétanéphrines qui étaient seules augmentées (taux à 1,44 ng/24 h).
Le scanner surrénalien (figure 1) a montré un aspect de masse surrénalienne bilatérale, de plus grande taille à gauche et se rehaussant de manière asymétrique avec prédominance de prise de contraste intense à gauche.
Figure 1. Scanner abdominal après injection. Masse de la région para hilaire gauche, arrondie, régulière de 35 mm de diamètre.
Le patient a été confié aux chirurgiens pour exérèse des deux surrénales. Dans un premier temps, seule la surrénale gauche a été réséquée ; les deux surrénales avaient un aspect macroscopique normal. Les suites opératoires ont été marquées par l’apparition d’un tableau d’abdomen aigu, 24 h après la première intervention avec majoration des signes au niveau de l’hypochondre droit, fièvre à 39° C, hyperleucocytose à 17 000/mm3 et pic hypertensif jugulé par l’injection de nicardipine, ce qui a nécessité un réintervention chirurgicale en urgence qui a révélé un aspect de cholécystite alithiasique (figure 2). Une cholécystectomie et une surrénalectomie droite ont été réalisées.
Figure 2. Cholécystite alithiasique : pièce opératoire.
L’examen histologique de la pièce opératoire était en faveur d’un phéochromocytome. Le patient a séjourné en réanimation et les suites opératoires ont été simples avec normalisation des chiffres tensionnels, disparition des signes fonctionnels et normalisation de la taille du ventricule gauche et de sa fraction d’éjection.
Discussion
Le phéochromocytome est évoqué devant l’association d’une HTA classiquement paroxystique, mais le plus souvent permanente (avec ou sans poussées) et de la triade spécifique faite de céphalées palpitations et de sueurs(1).
Le diagnostic de phéochromocytome est confirmé par le dosage urinaire des dérivés des catécholamines (métanéphrines et normétanéphrines sont les plus utiles et les plus fiables).
Notre patient présentait uniquement une élévation des normétanéphrines. L’échographie et le scanner permettent de localiser la tumeur, de préciser sa taille et de détecter la présence de localisations ectopiques(2).
Le traitement est chirurgical et consiste en l’exérèse de la tumeur ; c’est une chirurgie très délicate avec un risque de poussée hypertensive sévère lors de la manipulation de la tumeur et nécessite une technique d’anesthésie particulière(3).
Les accidents ischémiques au cours du phéochromocytome ne sont pas rares et sont attribués au vasospasme, lui-même secondaire à une décharge adrénergique importante(4).
C’est la nécrose tumorale qui est responsable de ce largage massif de catécholamines, entraînant une vasoconstriction importante et une ischémie tissulaire, le plus souvent réversible, mais pouvant déboucher à une véritable nécrose viscérale malgré l’absence de lésions athéromateuses. Cette nécrose tumorale réalise volontiers un tableau d’urgence abdominale, comme le montre notre observation.
Tous les territoires artériels peuvent être concernés par le vasospasme : les membres, la circulation cérébrale, les artères rénales et le territoire mésentérique. Notre patient a fait une cholécystite alithiasique d’origine ischémique probablement par vasoconstriction de l’artère cystique. Le mésentère était épargné chez ce patient, mais les cas les plus fréquemment rapportés dans la littérature parlent d’infarctus mésentérique. Le cœur n’est pas épargné de cette décharge adrénergique. Des cas de myocardite adrénergique avec choc cardiogénique et de nécroses myocardiques à coronaires saines ont été décrits par plusieurs auteurs(5). Le principal caractère de cette cardiomyopathie est la possibilité de régression quand l’imprégnation adrénergique est arrêtée, comme c’est le cas pour notre patient. Ces accidents ischémiques peuvent soit compliquer un phéochromocytome connu, comme c’est souvent le cas, soit en être révélateurs.
Néanmoins, ces phénomènes peuvent être réversibles si l’ablation de la tumeur est faite précocement.
En conclusion
L’ischémie viscérale par vasospasme est une complication majeure du phéochromocytome qu’on doit toujours craindre surtout lors de la manipulation de la tumeur en peropératoire. D’où l’intérêt du diagnostic précoce du phéochromocytome et d’une surveillance rigoureuse.
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