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Coronaires

Publié le 21 juin 2005Lecture 10 min

Quel traitement antithrombotique à la phase aiguë de l'infarctus du myocarde ?

A. CASTAIGNE, hôpital Henri Mondor, Créteil

Il y a des serpents de mer qui n’en finissent pas de réapparaître de temps à autre !
Le traitement antithrombotique à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde en est un ; mais quel en est l’enjeu ?
Tout le monde s’accorde à dire que l’angioplastie primaire avec pose de stent, accompagnée si besoin d’un traitement anti-GP IIb/IIIa, est la solution idéale. Cependant ce traitement ne peut être utilisé que pour une minorité de patients vivant près des centres les plus expérimentés dans le traitement de l’infarctus du myocarde et dotés d’une astreinte de cardiologie interventionnelle servie par des personnels très entraînés, et fonctionnant 24 h/24 et 365 j/an.
La lourdeur d’une telle infrastructure tant en hommes qu’en matériels fait qu’on est à la recherche de la recette des antithrombotiques qui donneraient d’aussi bons résultats que l’angioplastie primaire.

Les études randomisées comparant traitement thrombolytique et angioplastie sont difficiles à interpréter. En effet, quand celles-ci sont réalisées dans des centres ayant une compétence particulière en cardiologie interventionnelle, les résultats reflètent une vue particulièrement optimiste de la technique. À l’inverse, les études réalisées sans sélection excessive des centres et, a fortiori, celles dans lesquelles la thrombolyse a été réalisée en préhospitalier donnent une vue moins favorable de l’efficacité de l’angioplastie. Cependant, quelle que soit l’étude ou les études auxquelles on se réfère, l’angioplastie primaire est supérieure aux techniques chimiques sur au moins 3 critères : • la prévention de la récidive d’infarctus du myocarde, • le risque d’hémorragie cérébrale, • la perméabilité coronaire à moyen terme. Trois études publiées récemment changent un peu notre paysage.   L’étude CREATE Cette étude réalisée en Chine et en Inde a, de ce fait, pu passer relativement inaperçue. Cependant, elle a tout d’une bonne étude, y compris son auteur correspondant et investigateur principal, S. Yusuf du Canada qui a su exporter sa compétence pour mener des études d’envergure mondiale dans les pays émergeants. Au total, 15 570 patients ayant un syndrome coronaire aigu avec sus-décalage de ST ont été randomisés pour recevoir, en plus de leur traitement de base, soit de la réviparine, soit un placebo en injection sous-cutanée pendant 7 jours. Le critère de jugement principal composite regroupait la mortalité totale, la récidive d’infarctus du myocarde ou un AVC à 7 et 30 jours. Pourquoi l’héparine ? Comment me direz-vous, on randomisait les patients entre traitement héparinique et placebo ? Et oui, il faut s’y faire, il n’y avait pas jusque-là de démonstration correcte de la supériorité de l’héparine comparativement au placebo à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. Dans les études GISSI2 (Gruppo Italiano per lo Studio de la Sopravvivenza nell’Infarto miocardico) et ISIS3 (International Study of Infarct Survival) près de 50 000 malades thrombolysés ont été randomisés pour recevoir soit de la calciparine soit un placebo. Il y a eu moins de décès à 7 jours, mais pas à 35 jours, dans les groupes héparines et il y a eu plus d’hémorragies majeures (en particulier cérébrales) dans les groupes héparines. De plus dans l’étude GUSTO (Global Use of Strategies To open Occluded coronary Arteries), les 20 000 patients qui recevaient de la streptokinase ont été divisés en deux groupes de 10 000 patients recevant soit de l’héparine par voie veineuse soit de la calciparine : la tendance a été en défaveur de l’héparine par voie veineuse. Alors pourquoi l’héparine fait-elle partie des protocoles de thrombolyse utilisés dans toutes les unités de soins intensifs qui se respectent ? À cause de quelques études de perméabilité coronaire qui ont montré que la fréquence ou plutôt la rapidité de la recanalisation obtenue avec Actilyse® était meilleure lorsque l’on associait de l’héparine par voie veineuse et parce que, dans l’étude GUSTO, le traitement qui a « gagné » est Actilyse® en administration rapide associée à de l’aspirine et de l’héparine par voie veineuse. Mais quelle est la responsabilité de l’héparine dans cette victoire ? On ne saurait le dire. Les thrombolytiques commercialisés depuis, la reteplase et la tenecteplase ont été utilisés selon le même protocole d’administration de l’héparine sans que l’on sache si ce protocole est utile ou non.   Des patients comme ceux de notre pratique Les auteurs de l’étude CREATE (réviparine vs placebo) avaient d’autant moins d’états d’âme que la très grande majorité des patients thrombolysés en Chine et en Inde reçoivent de la streptokinase, voire de l’urokinase, pour des raisons économiques. Les patients inclus dans cette étude avaient en moyenne 59 ans ; ils ont été randomisés 5 heures après le début des symptômes ; 73 % ont été thrombolysés ; 6 % ont bénéficié d’une angioplastie primaire et 21 % ont été considérés hors délai pour une tentative de reperfusion. Près de 97 % des patients ont reçu de l’aspirine, 55 % du clopidogrel, 66 % des bêtabloqueurs, 72 % des IEC et 66 % des statines. Il s’agissait donc de patients similaires à ceux que nous traitons habituellement, recevant un traitement moderne de l’infarctus du myocarde.   Principaux résultats Le résultat principal est une réduction de l’événement décès, AVC ou IDM qui est survenu chez 9,6 % des malades sous réviparine et 11 % des malades sous placebo au bout de 7 jours et chez 11,8 et 13,6 % des patients après 30 jours ; ces deux différences sont significatives. L’effet est significatif sur la mortalité totale (8 vs 8,9 % à j7, 9,8 vs 11,3 % à j30) et sur le risque de récidive d’infarctus du myocarde (1,6 vs 2,1 % et 2 vs 2,6 % à 7 et j30). En revanche, la fréquence des AVC a été augmentée sous réviparine (0,8 vs 0,6 % et 1 vs 0,8 % à 7 et j30) ; cette différence n’est pas significative. Les hémorragies menaçant le pronostic vital ont été plus fréquentes dans le groupe réviparine (0,7 vs 0,3 %). Les hémorragies mortelles et les hémorragies cérébrales ont été incluses dans le critère de jugement primaire, mortalité totale + AVC + IDM. Deux analyses en sous-groupes avaient été prévues à l’avance ; l’influence de la précocité du traitement a été analysée : la réviparine est d’autant plus efficace qu’elle est administrée plus tôt, après le début des symptômes, et elle est tout aussi efficace que le malade soit thrombolysé ou non. Quel est l’impact d’une telle étude sur notre pratique ? Elle démontre l’utilité d’un traitement par HBPM dans l’infarctus du myocarde quelle que soit la thérapeutique utilisée par ailleurs. Nous manquions d’une étude de ce type. Elle permet de proposer un traitement de la phase aiguë de l’infarctus du myocarde simple, utilisable n’importe où dans le monde et dont le niveau d’efficacité s’approche de celui de l’angioplastie primaire, même s’il faut se méfier des comparaisons à distance. Elle montre qu’il est urgent de réévaluer l’utilisation des héparines dans l’infarctus du myocarde. La littérature comparant les HBPM et l’héparine non fractionnée dans l’infarctus du myocarde en phase aiguë est abondante mais décevante ; les études ont été régulièrement de trop petite taille pour se faire une idée du rapport bénéfice/risque des deux thérapeutiques. La meilleure approche est celle fournie par l’étude ASSENT 3 (ASsessment of the Safety and Efficacy of a New Thrombolytic agent) qui a montré que la combinaison ténectéplase + énoxaparine est au moins aussi efficace que la combinaison ténectéplase + héparine, et moins dangereuse que la combinaison ténectéplase demie-dose + RéoPro®. Une étude sur plus de 20 000 pa-tients est en cours pour comparer l’efficacité de l’énoxaparine à celle de l’héparine classique. Elle permettra d’y voir plus clair ; les différents thrombolytiques seront représentés avec au moins 5 000 patients recevant de la streptokinase. En attendant cette étude, chacun continuera d’utiliser l’héparine qu’il veut, comme le montre l’étude suivante.   L' étude CLARITY Cette étude avait pour but d’évaluer l’efficacité de l’adjonction de clopidogrel au traitement initial de l’infarctus du myocarde. Le critère de jugement principal était la perméabilité coronaire évaluée par la coronarographie 2 à 8 jours après l’infarctus du myocarde. Les patients décédés ou ayant une récidive d’infarctus avant cette coronarographie étaient comptés comme des échecs du traitement. Le critère de jugement était donc la fréquence de l’occlusion coronaire, les décès ou les récidives d’infarctus du myocarde. Au total 3 491 patients ont été inclus à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde. Les patients recevaient un thrombolytique, de l’aspirine et de l’héparine ajustée sur le poids quand l’investigateur le jugeait nécessaire. Ils devaient avoir une coronarographie 2 à 8 jours après la randomisation. Ces patients avaient une moyenne d’âge de 57 ans et présenter les facteurs de risque habituels de l’infarctus du myocarde. Près de la moitié ont reçu de la ténectéplase, 12 % de la rétéplase, 9 % de l’altéplase et 31 % de la streptokinase. Quant à l’héparine, elle était non-fractionnée (46 % des cas), de bas poids moléculaire (30 %), les deux (5 %) et aucune (19 % des cas). Ceci illustre bien la variété des pratiques en matière de traitement antithrombotique à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. En revanche les autres traitements étaient en accord avec les consensus : des bêtabloquants dans 90 % des cas, des statines dans 80 % des cas et des IEC dans 72 % des cas. La coronarographie servant à évaluer le critère de jugement principal a été faite, en moyenne, le 4e jour après la randomisation. À cet examen, 11,7 % des malades du groupe clopidogrel et 18,4 % des malades du groupe placebo avaient la coronaire du territoire infarci occluse ; la mortalité initiale concernait 2,6 % des malades du groupe clopidogrel et 2,2 % des malades du groupe placebo ; une récidive d’infarctus du myocarde était survenue dans 2,5 % des cas sous clopidogrel et 3,6 % des cas sous placebo.   Principaux résultats Le résultat, principal et hautement significatif, était donc une fréquence très basse d’occlusion coronaire résiduelle dans le groupe clopidogrel ; à cela s’ajoutait un flux TIMI 3 dans 67,8 % des cas sous clopidogrel contre 60,8 % des cas sous placebo. De même, la perfusion myocardique était meilleure et l’existence d’un thrombus résiduel dans l’artère moins fréquente dans le groupe clopidogrel que dans le groupe placebo. Bien entendu, si les signes cliniques l’imposaient, les malades pouvaient avoir une coronarographie en urgence et une pose de stent si besoin sous anti-GP IIb/IIIa. Ces trois gestes : coronarographie urgente, angioplastie urgente et recours aux anti-GP IIb/IIIa ont été moins fréquents dans le groupe clopidogrel que dans le groupe placebo. Une évaluation au 30e jour était prévue ; elle a montré une mortalité égale entre les deux groupes, une fréquence de récidive d’infarctus du myocarde de 4,1 vs 5,9 % sous clopidogrel et placebo ainsi qu’une réduction des AVC 0,9 vs 1,7 %. Les paramètres combinés mort + IDM + AVC étaient en faveur du groupe clopidogrel à cause de la grande différence sur la récidive d’infarctus du myocarde. L’un des points les plus inattendus de cette étude est que le groupe clopidogrel n’a pas eu plus de saignement majeur que le groupe placebo (1,3 vs 1,1 %) ; la fréquence des hémorragies cérébrales a été particulièrement basse : 0,5 % sous clopidogrel contre 0,7 % sous placebo. Des analyses en sous-groupes avaient été prévues. La plus intéressante est celle concernant les diverses pratiques de traitement antithrombotique : le bénéfice du clopidogrel sur la fréquence des occlusions coronaires est observé quel que soit le thrombolytique utilisé et quelle que soit l’héparine utilisée.   Que peut-on en conclure ? Cette étude apporte une information importante : l’adjonction de clopidogrel avec une dose de charge de 300 mg puis une dose de 75 mg par jour, au traitement de base de l’infarctus du myocarde diminue de façon importante la probabilité d’avoir une artère responsable de l’infarctus occluse au décours d’un infarctus du myocarde. Les résultats à 30 jours sont moins importants dans la mesure où près de 60 % des patients ont eu une angioplastie entre les 4e et le 30e jour et que l’on peut penser que ceux qui recevaient depuis le début du clopidogrel étaient favorisés par rapport aux patients qui ont eu ce traitement uniquement le jour de l’angioplastie avec pose de stent. Le résultat très significatif observé ne doit pas masquer que cette étude est très particulière. La mortalité (4,4 % à 30 jours) a été très faible, ce qui reflète que les patients inclus sont une sélection de l’ensemble des infarctus du myocarde ; sélection par l’âge puisque les malades de plus de 75 ans étaient exclus et sélection par la faible gravité puisque les malades devant avoir en urgence une coronarographie et une pose de stent ou ceux qui avaient un choc cardiogénique étaient exclus. La question suivante est de savoir si le clopidogrel pourrait réduire la mortalité de l’infarctus du myocarde chez des malades recevant le traitement classique par thrombolytiques + aspirine.   Étude COMMIT-CCS-2 La troisième étude, ClOpidogrel and Metoprolol in Myocardial Infarction Trial, à nouveau réalisée en Chine, a abordé cette question. La taille de l’étude est gigantesque : plus de 45 000 patients inclus à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. La question était de savoir quel serait l’effet sur la mortalité totale de l’adjonction de clopidogrel au traitement de base de l’infarctus du myocarde. Cette étude non encore publiée, a été présentée au congrès de l’American College of Cardiology. Les malades étaient inclus dans les 24 premières heures d’un syndrome coronaire aigu avec sus-décalage de ST à condition qu’ils ne relèvent pas d’un traitement par angioplastie primaire. Près de 50 % des patients ont été thrombolysés ; ce pourcentage monte à 66 % dans le groupe des malades vus dans les 12 premières heures. Le reste du traitement était classique. Le résultat principal à 30 jours est une diminution significative de la fréquence des décès, IDM et AVC : 9,3 clopidogrel vs 10,1 % placebo. Dans le groupe des patients vus dans les 6 premières heures la différence est plus forte : 9,3 vs 10,9 %. De même, dans le groupe des patients thrombolysés, les chiffres sont de 8,8 et 9,9 %. Toutes ces différences sont hautement significatives en raison du grand nombre de patients inclus dans cette étude. À nouveau dans cette étude, l’adjonction de clopidogrel ne s’accompagne pas d’une augmentation de fréquence des saignements majeurs et des hémorragies cérébrales.   Que peut-on tirer de ces trois études ? Sous réserve de pouvoir analyser en profondeur les données de ces études, l’addition de clopidogrel au traitement de l’infarctus aigu est très tentante. Quant à l’utilisation systématique d’une HBPM, on peut certainement la recommander dans les pays qui ont recours à la streptokinase. La question qui va devenir rapidement importante est de savoir si l’association streptokinase + aspirine + HBPM + clopidogrel ne pourrait pas devenir le traitement de base de l’infarctus du myocarde. On se souvient que le bénéfice de l’altéplase par rapport à la streptokinase était une réduction de 1 % de la mortalité. La réduction de mortalité obtenue avec la réviparine est de 1,4 % à 30 jours ; pour le clopidogrel dans COMMIT, la réduction de mortalité est de 0,5 %. En admettant que ces deux effets s’additionnent, la question est de savoir si une streptokinase ainsi dopée ne réduirait pas son handicap par rapport aux thrombolytiques spécifiques, voire par rapport à l’angioplastie ? Voilà qui pourrait diminuer fortement la dépense à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde et la fatigue des cardiologues interventionnels ! À méditer et à suivre…

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