Publié le 17 jan 2005Lecture 7 min
Traitement percutané des valvulopathies aortiques - État actuel et perspectives d'avenir
A. CRIBIER, CHU de Rouen
Le remplacement valvulaire aortique chirurgical reste l’un des fleurons de la chirurgie cardiaque. Pour la grande majorité des patients atteints d'un rétrécissement aortique calcifié (RAC), l'opération permet une amélioration clinique remarquable et durable avec retour à une espérance de vie similaire à celle des sujets normaux dans la même tranche d'âge, cela au prix d'une mortalité opératoire faible (< 5 %).
Chirurgie : la priorité
En présence d'un patient atteint d'un RAC, il faut donc en toute priorité s'orienter vers l'intervention chirurgicale qui est le seul traitement reconnu de la maladie et qui permet de sauver près de 200 000 patients dans le monde chaque année. Tout autre mode de traitement, médicamenteux ou par cardiologie interventionnelle, ne peut se concevoir que lorsque l'opération n'est pas souhaitable en raison de risques trop élevés de complications périopératoires et après que les chirurgiens cardiaques eux-mêmes et/ou les anesthésistes aient exprimé leur réserve quant à la sécurité du geste. Les véritables contre-indications chirurgicales sont en fait rares. Le problème essentiel est celui de l'évaluation multifactorielle du risque, prenant en considération l'âge, la condition cardiaque et les comorbidités, des conditions qui peuvent augmenter de façon considérable la mortalité et la morbidité opératoires. Avec le vieillissement de la population, la décision thérapeutique devient de plus en plus souvent difficile, chez des sujets très âgés et atteints de multiples affections associées cardiaques et non cardiaques.
Selon Euro Heart Survey sur les maladies valvulaires, environ un tiers des patients ne sont jamais opérés. Pour ces patients, le traitement médical est inefficace et la mortalité peut dépasser 60 % dans l'année qui suit l'apparition des symptômes. Cet état de fait est la justification des gestes de cardiologie interventionnelle qui se sont développés au cours des 20 dernières années.
Dilatation : la plus sûre
La dilatation valvulaire aortique (BAV) a été proposée en 1985 pour pallier les symptômes de patients considérés à l'époque comme inopérables, un concept alors beaucoup plus large qu'aujourd'hui. Cette technique utilise le gonflage d'un ballonnet sous forte pression pour créer des microfractures au sein des calcifications valvulaires, améliorant ainsi l'ouverture de la valve et la symptomatologie. La technique était initialement considérée comme téméraire et était associée à de multiples complications, notamment vasculaires. Si l'amélioration fonctionnelle des patients était notable, la resténose inévitable à court terme a contribué à l'abandon progressif de ce geste par la plupart des équipes.
On assiste actuellement à une recrudescence des indications de BAV, faute de toute autre solution palliative pour de nombreux patients récusés pour la chirurgie. La technique s'est considérablement améliorée. Elle est réalisée sous anesthésie locale, par voie percutanée fémorale rétrograde. L'utilisation systématique de désilets d'introduction de 10 à 14-Fr, le recours aux systèmes de fermeture artérielle percutanée, l'amélioration des guides et des cathéters à ballonnet utilisés, et une meilleure expérience des équipes ont abouti à une simplification du geste et à une diminution notable des complications.
Le résultat escompté est le doublement de la surface d'ouverture aortique fonctionnelle, obtenu en général après 2 ou 3 gonflages d'un ballonnet de 23 mm de diamètre. Dans les équipes entraînées, les complications graves (AVC, troubles du rythme, infarctus ou décès sont rares, < 5 % et surviennent le plus souvent chez des patients à haut risque (contractilité ventriculaire effondrée, choc cardiogénique). Les complications vasculaires chirurgicales sont devenues exceptionnelles.
L'hospitalisation est de l'ordre de 4 jours et la surveillance ultérieure est clinique et échographique. En cas de resténose, il est très souvent possible de redilater la valve, ce qui peut dans certains cas être répété 3 ou 4 fois, prolongeant ainsi la survie des patients dans un confort de vie acceptable.
Les débuts de la chirurgie percutanée
L'implantation percutanée d'une valve aortique représenterait le moyen idéal pour traiter ces patients à risque. Si la notion de valve implantable de façon non chirurgicale est ancienne, la réalisation de modèles utilisables chez l'homme est beaucoup plus récente, avec les premières implantations humaines par P. Bonhoeffer en 2000, dans des conduits ventriculopulmonaires dégénérés. Dans notre équipe, l'idée remonte aux années 90, lorsque la resténose valvulaire après BAV est apparue comme le principal facteur limitant de la technique. Le concept s'est immédiatement basé sur le principe d'un stent valvulé expansible par gonflage d'un ballonnet. Des implantations en post mortem ont, dès 1994, confirmé la solidité de l'ancrage d'un stent de 23 mm au sein de valves aortiques calcifiées et ont permis de déterminer la hauteur du stent qui permettrait de couvrir l'anneau aortique sans compromettre la vascularisation coronaire et la valve mitrale sous-jacente. Le choix de la structure valvulaire et de son mode d'insertion intrastent a été difficile, et après de longues études en laboratoire, les premiers prototypes ont pu être développés en 1999. Le choix s'est fixé sur une valve tricuspide, initialement en polyuréthane puis en péricarde bovin pour aboutir à un modèle en péricarde de cheval, plus fin et plus résistant (figure 1).
Figure 1. Vues latérale et supérieure de la bioprothèse percutanée aortique.
Plus de 100 implantations ont été réalisées chez l'animal, confirmant la faisabilité de la technique et permettant d'évaluer chaque étape de l'implantation. La première implantation chez l'homme a été réalisée à Rouen en avril 2002, avec un résultat inespéré chez un homme de 57 ans en choc cardiogénique.
La première étude prospective (I-REVIVE) a par la suite inclus sur une base purement compassionnelle, 16 patients très âgés, tous formellement récusés par les chirurgiens en raison du grand âge et de l'importance des comorbidités, et dont l'espoir de survie sans traitement n'était que de quelques jours à quelques semaines. Elle a été suivie d'une seconde étude de faisabilité (RECAST), ayant enrôlé 20 autres patients avec des critères d'inclusion identiques.
La technique
Les implantations sont réalisées par voie veineuse fémorale et utilisent l'approche antérograde transseptale.
Figure 2. Aspect de la bioprothèse sertie sur le ballonnet de 23 mm.
La bioprothèse, sertie sur un ballonnet de 23 mm de diamètre maximal (figure 2), compatible avec un introducteur de 24-Fr, est amenée jusqu'à la valve aortique native sur un guide rigide préalablement monté par la veine fémorale, traversant le septum inter-auriculaire et la valve aortique et extériorisé par l'artère fémorale controlatérale. La bioprothèse est positionnée au centre des calcifications de la valve native avant d'être larguée par gonflage du ballonnet (figure 3 A et B) au cours d'un bref arrêt du flot sanguin (4 à 5 secondes) obtenu par stimulation cardiaque rapide (200 à 220/min). Une angiographie sus-aortique après implantation permet de confirmer le bon positionnement de la bioprothèse par rapport aux coronaires et le degré d'insuffisance aortique éventuelle (figure 3 C). La voie rétrograde (par l'artère fémorale) est plus simple, mais peut échouer en raison du calibre limité des vaisseaux, des altérations pariétales fémoro-iliaques, ou du degré de calcification valvulaire empêchant le franchissement rétrograde de la valve native.
Figure 3. A. Positionnement de la bioprothèse au centre de la valve aortique native, en utilisant les calcifications valvulaires comme marqueur (flèches). B. Gonflage du ballonnet de 23 mm sous stimulation cardiaque rapide (220/min) pour assurer la stabilité du système au moment du largage. C. Contrôle angiographique sus-aortique après implantation.
Les résultats
Les résultats immédiats sont satisfaisants, avec très peu d'échecs d'implantation (6 au total dont 3 sur 7 par voie rétrograde) et aucune obstruction coronaire. La surface valvulaire obtenue est de 1,7 cm2, avec gradient trans-valvulaire minimal (figure 4).
Les complications graves en cours de procédure ont été rares (1 AVC, 2 tamponnades, 1 décès). La plupart des difficultés techniques constatées dans l'étude I-REVIVE ont été surmontées dans l'étude RECAST. Un certain degré de fuite paravalvulaire est habituel après implantation (grade 3 dans 5 cas, grade 2 dans 7 cas). La surveillance ultérieure est obtenue par les examens cliniques et échocardiographiques.
Figure 4. Disparition de tout gradient transvalvulaire aortique après implantation (gradient de base: 54 mmHg). Ce résultat hémodynamique est constant. Le gradient transvalvulaire est mesuré en moyenne à 10 mmHg par échocardiographie.
L'amélioration clinique a été le plus souvent spectaculaire sur le plan cardiaque, mais la mortalité au cours du suivi a été importante dans les 6 mois, non liée à un dysfonctionnement de la bioprothèse, mais à l'évolution défavorable des multiples comorbidités (cancer, insuffisance rénale terminale, opération non cardiaque, etc.). Trois patients de l'étude REVIVE atteignent néanmoins près de 2 ans de survie sans aucune dysfonction valvulaire et avec retour à une vie normale, une évolution surprenante et remarquable compte-tenu de l'état clinique avant implantation et de la coexistence de nombreuses maladies associées graves. Quatre patients de l'étude RECAST ont déjà dépassé les 6 mois de survie avec normalisation de leur fonction cardiaque.
L’avenir
L'avenir proche sera marqué par le début d'études multicentriques de plus grande ampleur chez des patients moins gravement malades, et la mise en pratique d'importants progrès technologiques ayant déjà fait la preuve de leur efficacité au Canada, où ils permettent l'utilisation large de la voie rétrograde et la diminution, voire la suppression, des fuites paravalvulaires.
En pratique
L'implantation d'une valve aortique par voie percutanée est une nouvelle possibilité thérapeutique chargée d'espoir pour un nombre très élevé de patients à haut risque chirurgical.
Malgré des indications jusqu'alors restrictives chez des patients en fin de vie, les résultats s'avèrent déjà très supérieurs à la dilatation aortique. Les résultats aigus (surface valvulaire et gradient trans-aortique) sont nettement meilleurs qu'après BAV et, surtout, ils restent inchangés au long cours, sans resténose.
Il est crucial maintenant de sortir des indications compassionnelles afin d'évaluer la bioprothèse à plus long terme, ce qui permettra de mieux situer le rôle futur de cette technique révolutionnaire en cardiologie interventionnelle.
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