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Coronaires

Publié le 31 mar 2009Lecture 9 min

Visite commentée des médicaments « incontournables » du coronarien chronique

S. WEBER, Hôpital Cochin, Paris

Il s’agit bien sûr des molécules retenues de façon consensuelle ou quasi consensuelle par les recommandations diverses et variées des sociétés savantes de par le vaste monde.

Pourquoi sont-ils incontournables ? Il s’agit bien sûr des molécules retenues de façon consensuelle ou quasi consensuelle par les recommandations diverses et variées des sociétés savantes de par le vaste monde. Leur prescription est considérée comme obligatoire. Leur non-prescription doit pouvoir être justifiée soit par une contre-indication a priori, soit par la constatation d’un effet indésirable limitant. Il s’agit de l’aspirine, du clopidogrel dans les suites d’un syndrome coronaire aigu et/ou de l’implantation d’une endoprothèse, des bêtabloquants, des statines et, chez les patients à dysfonction ventriculaire gauche, des IEC. Nous sommes là dans un paysage parfaitement « cadré » ; cela signifie-t-il qu’il est forcément paisible et surtout figé pour des siècles ? Ces cinq molécules ou classes pharmacologiques ont obtenu ce statut « d’incontournabilité » suite à la prise en compte par les groupes d’experts des résultats des essais contrôlés. Il s’agit d’un bel exemple de la médecine par les preuves. Avant d’entreprendre notre visite guidée, interrogeons-nous sur les forces et faiblesses de cette fameuse « evidence based medecine ». Force et faiblesse de la médecine par les preuves Les forces Les points forts sont évidents et simples à résumer. Toute mesure du service effectivement rendu au patient doit, quel que soit le mécanisme d’action établi ou supposé d’un médicament, se terminer par la démonstration de la réduction des événements morbides, l’amélioration de la qualité de vie et idéalement, l’augmentation de l’espérance de survie. Les déboires, les échecs des études purement mécanistiques des années 60-70 puis des études utilisant des critères intermédiaires de la décennie suivante justifient largement l’exigence des autorités d’enregistrement et des experts de ne se prononcer que sur des critères de jugement les plus durs qui soient, prenant en compte la balance entre bénéfice et risque et représentatifs du service rendu au patient.   Pour ce faire, seuls sont pris en compte les essais prospectifs randomisés en double aveugle. Compte tenu de la grande exigence de ces critères de jugement, les effectifs nécessaires à démontrer une efficacité thérapeutique sont très élevés, ce qui implique quasi obligatoirement le recours à des essais multicentriques nationaux et plus souvent encore internationaux.   Les exigences rigoureuses de la médecine par les preuves semblent raisonnables et réalistes quand il s’agit d’évaluer les traitements du coronarien chronique : - il s’agit d’une pathologie fréquente ce qui facilite les inclusions ; - il s’agit d’une pathologie relativement standardisable, ce qui permet de travailler en multicentrique sans trop de risque de variabilité inter-centre ; - les critères de jugement « durs » tels que la mortalité cardiovasculaire, la mortalité toutes causes, la survenue d’un IDM, le recours à la revascularisation sont a priori faciles à individualiser, moyennant un comité de validation des événements critiques bien organisé. Ce point ne présente lui non plus guère de difficulté ; - enfin, les événements que l’on cherche à éviter par le traitement sont fréquents, tout du moins relativement fréquents, à condition que la population sélectionnée – et c’est peut être à la limite des forces et des faiblesses de la médecine par les preuves –ait un risque de base suffisamment élevé. Les faiblesses Elles sont malheureusement tout aussi nombreuses et pertinentes que les points forts que nous avons énumérés. La représentativité des populations incluses dans les essais coronaires est limitée. C’est peut-être là, comme me l’a encore montré ma relecture des 60 dossiers tirés au sort par l’HAS dans mon propre service, que se situe la principale fragilité. Les essais thérapeutiques ne concernent que 5 à 15-20 % dans le meilleur des cas des malades hospitalisés dans les centres investigateurs pour la pathologie concernée. Le gouffre entre les essais contrôlés et les registres observationnels est donc immense. Parfois, les critères d’exclusion sont purement techniques concernant, par exemple, l’existence d’une contre-indication ou d’un antécédent d’effet indésirable à une classe pharmacologique ou, pour un essai de revascularisation myocardique, la constatation d’une anatomie lésionnelle coronaire ne permettant pas la randomisation soit entre traitement médical et revascularisation, soit entre angioplastie et chirurgie. L’existence de pathologies associées lourdes, hypothéquant le pronostic vital à court et moyen termes et empêchant donc d’évaluer le critère de jugement principal lié à la maladie coronaire, représente une autre cause relativement fréquente d’exclusion. Elle est parfaitement logique, mais il faut alors ne pas oublier que les recommandations, qui pourraient être élaborées à l’analyse des résultats des essais contrôlés, ne s’appliquent pas aux malades porteurs de ces comorbidités importantes. D’autres motifs d’exclusion (et j’ai volontairement choisi le mot de motif plutôt que critère) sont tout aussi fréquents mais un peu plus pernicieux, car non franchement énumérés dans le protocole de l’étude. Je n’en citerai que quatre parmi les plus préoccupants : - la sous-représentation des patients âgés, alors qu’ils sont très fréquents en pratique quotidienne et que de nombreux protocoles ne prévoient pas de limite supérieure d’âge. Il y a en fait un phénomène d’autocensure des investigateurs qui ne proposent d’inclusion aux coronariens âgés ou très âgés qu’aux sujets « fringants » tant en ce qui concerne l’absence de comorbidité que le niveau d’activité et la parfaite conservation des fonctions supérieures. Les patients âgés sont donc à la fois sous et mal représentés dans les essais contrôlés.Une fois la molécule validée, l’extrapolation des résultats de l’essai à de vastes populations cardio-gériatriques moins sélectionnées est très aléatoire, aboutissant probablement à une sous-évaluation du risque thérapeutique et une surévaluation du bénéfice ; la deuxième limitation concerne les patients jugés a prioripeu observants, psychologiquement « difficiles », ou dont le niveau de compréhension du formulaire de consentement paraît insuffisant. Il est bien sûr logique et éthique de ne pas inclure de tels patients, mais là aussi, une fois les résultats publiés et les recommandations édictées, dans la vraie vie, ces patients existent, sont nombreux et reçoivent les médicaments. L’exemple que j’avais précédemment évoqué de ces patients âgés en phase aiguë d’IDM se retrouvant stentés alors même que leur maladie d’Alzheimer avait été sous-évaluée dans la phase préhospitalière illustre bien ce propos ; le troisième groupe est celui des patients refusant l’entrée dans l’étude ; les raisons possibles pour expliquer un refus sont nombreuses, mais il est hautement vraisemblable que ce groupe de patients a, dans la vraie vie, un comportement spécifique par rapport à la médecine en général et aux traitements médicamenteux en particulier ; enfin, et ce dernier point varie peut-être d’un pays à l’autre, les strates socioculturelles défavorisées ou certaines minorités sont mal prises en compte alors qu’elles représentent une proportion importante des patients qui recevront ultérieurement le traitement. Le problème de la coprescription Il s’agit là probablement d’un des problèmes les plus spécifiques à l’évaluation du coronarien ; il est lié au fait que nous avons été, en cardiologie, l’une des premières disciplines à se lancer dans les essais thérapeutiques à large échelle et à appliquer les règles de l’« evidence based medecine ». Une fois validée, une thérapeutique devient incontournable et la suivante ne peut être à son tour étudiée que « par-dessus » la molécule validée. Cela aboutit après chaque tour de la grande roue au mille-feuille de la prescription du coronarien chronique, dont l’existence pose des problèmes pratiques et médico-économiques (ordonnance gigantesque générant interactions, effets indésirables, observance médiocre) mais également des problèmes plus conceptuels. Chacune des feuilles de ce fameux mille-feuille a été, en effet, élaborée dans un contexte historique bien précis. Le mille-feuille de l'ordonnance du coronarien chronique.   L’exemple le plus caricatural est celui de l’aspirine, première classe pharmacologique validée (un peu avant les bêtabloquants). Les coronariens de l’époque étaient plus jeunes, plus sévères, presque jamais revascularisés, ne recevant par définition pas de traitement anti-ischémique efficace puisque ceux-ci n’avaient pas encore été inventés. L’aspirine a été initialement comparée à une classe thérapeutique lourde d’effets indésirables qui est celle des anticoagulants, ce qui l’a quelque part avantagée… Loin de moi l’idée de dénigrer l’aspirine, nous y reviendrons, car il s’agit probablement de l’un des meilleurs rapports coût/efficacité de toute la pharmacologie. Malgré toutes les limites énoncées, l’aspirine reste omniprésente dans la prescription quotidienne, ce qui est largement justifié, mais également omniprésente dans les deux bras de presque tous les essais thérapeutiques réalisés chez le coronarien, ce qui est probablement une erreur. Il faut donc bien garder à l’esprit que les malades inclus en 1970 et en 2009 ne sont plus du tout les mêmes et que les diverses feuilles du mille-feuille ont été validées dans un contexte historique bien précis qui n’est pour beaucoup d’entre elles, plus pertinent. Les dangers de « l’intrapolation » Je m’autorise cet horrible néologisme pour souligner l’importance du troisième concept fondamental devant nous amener à interpréter avec précaution les résultats des essais contrôlés. L’analyse statistique, savante, fine, rigoureuse, consubstantielle à l’interprétation des essais contrôlés a pour but d’extrapoler à une population de malades, la somme des résultats individuels négatifs ou positifs observés sur chacun des centaines, des milliers, voire des dizaines de milliers de participants à une étude. Une fois ce résultat constaté au niveau d’une population, par essence hétérogène, la tentation est forte, d’estimer que le bénéfice obtenu sur l’ensemble du groupe de patients peut être considéré comme acquis chez chacun d’entre eux. Après la démarche d’extrapolation que représente l’analyse statistique de la population, bien souvent, la communication des résultats aboutit, plus ou moins subrepticement, à cette « intrapolation » (figure 1a, 1b). Si le risque relatif de survenue d’un infarctus ou d’une mort subite est réduit de 15 % sur l’ensemble de la population, je peux espérer le réduire de 15 % chez le patient précis, assis de l’autre côté de mon bureau, auquel je m’apprête à prescrire le médicament. La réalité est, bien entendu, toute autre (figure 1c).   Figure 1 A, B et C. Présentation et interprétation des résultats des essais cliniques.   Notre expérience de prescripteur nous enseigne très rapidement à quel point peut être variable, d’un patient à l’autre, l’amplitude, voire même l’existence d’un effet thérapeutique.   La réalité ce n’est pas -15 % pour tout le monde (ce ne sont pas des soldes !) mais probablement un bénéfice considérable pour certains patients, des effets indésirables graves pour une petite minorité d’entre eux, et un effet minime, voire nul pour une part des populations concernées. Pour l’instant, nous ne savons pas bien, voire même pas du tout, prédire les résultats à l’échelon individuel. Il faut bien dire qu’assez peu d’essais thérapeutiques ont jusqu’à présent été conçus en ce sens. Qui en effet subventionnerait un essai destiné non pas à élargir la population potentiellement concernée par une prescription, mais à la restreindre à tel ou tel sous-groupe de patients qui en bénéficierait plus particulièrement ?   La démarche d’avenir, optimisant le service rendu devrait bien sûr être diamétralement opposé, chercher à individualiser des bons répondeurs, donc à restreindre le champ de prescription d’une molécule donnée… Les récentes évaluations du différentiel d’efficacité du clopidogrel selon le profil pharmacogénétique des patients, dans lesquels se sont récemment illustrées plusieurs équipes françaises représentent un parfait exemple de cette excellente nouvelle direction que devraient prendre les essais thérapeutiques.

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