Focus
Publié le 30 nov 2014Lecture 6 min
L’occlusion percutanée de l’auricule gauche - Une alternative aux anticoagulants dans la fibrillation atriale ?
F. BRIGADEAU, service de cardiologie, CHU de Lille
La fibrillation atriale non valvulaire (FANV), dont l’incidence augmente constamment, est fortement corrélée aux accidents thromboemboliques artériels (ATE) et notamment aux accidents vasculaires cérébraux (AVC). Ces AVC sont de pronostic beaucoup plus sombre que les AVC d’étiologie vasculaire. Le mécanisme présupposé est la constitution d’un thrombus dans l’oreillette gauche qui migre dans la grande circulation. En particulier, l’auricule gauche semble être la localisation élective de constitution de ces thrombi, jusqu’à 90 % selon les études(1).
FANV : prévention des ATE
La prédiction du risque thromboembolique repose essentiellement sur les données cliniques du terrain du patient (score de CHA2DS2-VASC). Il faut toujours mettre en balance le risque thromboembolique avec le risque hémorragique lié au traitement antithrombotique et également au patient (scores HAS-BLED, ATRIA entre autres).
En cas de risque élevé, il faut introduire une anticoagulation orale. L’antiagrégation plaquettaire disparaît peu à peu des indications en raison d’un niveau de preuve faible, au profit des anticoagulants. Molécules très robustes et efficaces, étudiées dans plusieurs essais randomisés, les antivitamines K (AVK) ont montré une réduction du risque relatif d’ATE de 64 % sur le placebo et de 38 % sur l’aspirine. Ils présentent néanmoins des inconvénients connus des cliniciens. L’INR, surveillance indispensable du traitement, doit se situer entre 2 et 3 ce qui au mieux est effectif 80 % du temps dans certains pays. La plupart du temps ce taux est à 65 % dans les études et 50 % dans la « vraie vie ». Notons également qu’un certain nombre de facteurs thromboemboliques sont aussi des facteurs de risque hémorragique. Une perception du risque hémorragique parfois excessive ou réelle (notamment en cas d’association aux antiagrégants plaquettaires) s’ajoutant à cela, l’observance des AVK chute à 50 % à 3 ans.
Ces inconvénients ont abouti au développement d’anticoagulants oraux directs (AOD) par inhibition des facteurs II ou X activés. Plus de 50 000 patients ont été inclus dans des études comparant AOD et AVK. Les AOD sont tous non inférieurs aux AVK, parfois supérieurs (apixaban 5 mg 2 fois/j et dabigatran 150 mg 2 fois/j). La réduction du risque d’hémorragie intracérébrale est spectaculaire dans le groupe des AOD, mais le risque de saignement majeur ou mineur est très proche du risque sous AVK.
L’occlusion de l’auricule
La procédure consiste en l’obturation de l’orifice de l’auricule gauche par un dispositif mis en place par cathétérisme transseptal, le plus souvent sous anesthésie générale. Plusieurs dispositifs sont disponibles, mais seul le système Watchman™ (Boston Scientific) a été formellement étudié en comparaison aux anticoagulants (figure 1). Les études de dispositif en comparaison aux antithrombotiques font face à des difficultés spécifiques qui doivent être prises en compte dans l’analyse des résultats : moins de patients inclus, impossibilité de l’aveugle, comparaison d’une complication de procédure à un effet secondaire de traitement médical notamment.
Figure 1. Système d’occlusion de l’auricule gauche Watchman™ (Boston Scientific), avec schéma d’implantation par cathéter.
L’étude princeps est PROTECT-AF(2). Elle a été menée chez 707 patients pour comparer l’efficacité de l’occlusion de l’auricule sur un critère combiné (AVC toutes causes, mortalité cardiovasculaire et ATE) par rapport aux AVK. Il s’agit d’une étude randomisée multicentrique. Dans le groupe implanté d’un dispositif, les patients recevaient des AVK durant les 45 jours postprocédure pour permettre l’endothélialisation de la prothèse, puis une association aspirine/clopidogrel pour le reste des 6 mois de suivi. Les AVK pouvaient être poursuivis plus longtemps en cas de fuite périprothétique. Après 1 an de suivi, la non-infériorité était obtenue en intention de traiter sur le critère principal (probabilité de non-infériorité > 99,9 %).
Quelques points ont été soulevés à l’issue de PROTECT-AF
Le faible effectif de l’étude, le CHADS2 médian qui était assez faible (2,2 ± 1,2), et le cross-over entre les deux groupes avec des patients poursuivant les AVK à 1 an dans le groupe dispositif en raison de fuites périprothétiques (8 % de patients sous AVK à 6 mois, 5 % à 1 an dans le groupe des patients implantés). Le grief principal est l’absence de supériorité obtenue en raison d’un taux de complication de 8,7 % essentiellement constitué par des effusions péricardiques et des saignements majeurs imputables à la procédure.
Pour répondre à ces questions, le registre CAP et l’étude PREVAIL(3,4) ont été réalisés. Ces travaux portent à 1 268 le nombre de patients implantés évalués dans des études, ce qui n’est pas aussi important que pour les anticoagulants mais est très conséquent pour des études d’implantation de dispositifs. Le registre CAP (566 patients) est une prolongation de PROTECT-AF évaluant des patients ayant reçu le même dispositif. Le CHADS2 médian est à 2,6.
L’étude PREVAIL (407 patients) a un design identique à PROTECT-AF mais pour une population à plus haut risque (CHADS2 médian à 2,6). Le critère primaire est le même que dans PROTECT-AF et comprend en plus l’évaluation du risque d’ATE 7 jours après la procédure. Ce critère est intéressant car il permet de valider le concept d’occlusion d’auricule dans la prévention des ATE dans la FANV.
La non-infériorité sur le critère principal n’est pas été obtenue dans l’étude PREVAIL, probablement en raison d’un taux inhabituellement bas d’événements dans le groupe AVK au regard d’un score tromboembolique élevé. En revanche, la non-infériorité a été obtenue sur le second critère principal ce qui valide le concept d’occlusion de l’auricule.
En ce qui concerne la sécurité de la procédure, celle-ci a été grandement améliorée puisque le taux de complications majeures est de 4,2 et 4,5 % respectivement dans CAP et PREVAIL. Le taux d’AVC postprocédure est quasi nul, le taux de tamponnade chute à 1,5 % vs 2,4 % dans PROTECT-AF. L’expérience du centre est un critère majeur de sécurité de procédure.
Le suivi à long terme de ces patients confirme l’efficacité de l’occlusion de l’auricule sur le critère principal combiné, les AVC et sur la mortalité toutes causes à 4 ans, à la fois pour la non-infériorité et pour la supériorité (figure 2)(5).
Ces résultats sont extrêmement encourageants et valident le concept d’occlusion de l’auricule pour la prévention des ATE dans la FANV en comparaison aux AVK.
La surveillance des patients implantés doit néanmoins s’effectuer via l’inclusion systématique dans des registres. L’évaluation du risque de procédure et le suivi des patients sont indispensables pour conclure de façon définitive sur cette technique très prometteuse. Certains points sont encore non élucidés : le risque d’infection de matériel, l’impact clinique des fuites résiduelles périprothétiques, le traitement antithrombotique indispensable en postprocédure, etc.
En outre, à l’heure des AOD, il faut envisager sérieusement une étude comparative de l’implantation du dispositif aux nouveaux anticoagulants.
Figure 2. Courbes de Kaplan-Meier sur le critère principal composite (AVC toutes causes, mortalité cardiovasculaire et ATE), les AVC et la mortalité totale, pour un suivi de 4 ans. En rouge, le groupe implanté du dispositif et en bleu le groupe AVK.
Conclusion
L’occlusion de l’auricule est une technique de plus en plus maîtrisée. Les dispositifs implantables se multiplient et le taux de complication lié à la procédure diminue régulièrement.
Les résultats en comparaison des AVK sont très positifs. Plus les patients sont amenés à avoir un temps d’exposition aux anticoagulants prolongé, plus le bénéfice de l’implantation est important.
Notons que cette technique ouvre également des opportunités de traitement chez des patients jusqu’à présent non traités. Il s’agit des patients ayant à la fois une indication aux anticoagulants et une contre-indication en raison d’un risque hémorragique trop important. L’étude ASAP(6) a montré que l’implantation du dispositif diminuait substantiellement le risque d’ATE en comparaison au risque théorique calculé dans cette population. Une étude randomisée est néanmoins souhaitable dans ce contexte. Il est probable que l’indication se situe en première intention dans ce contexte, plutôt qu’en alternative aux AVK.
Conflits d’intérêt
Laboratoire Boston Scientific et St. Jude Medical.
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