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Thrombose

Publié le 01 juin 2017Lecture 8 min

Les AOD dans la maladie thromboembolique veineuse - Des interrogations et un début de réponses

Michèle DEKER, Paris


Printemps de la cardiologie
Les AOD sont rapidement devenus un traitement de première ligne dans la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) et font toujours l’objet de nombreuses études. En pratique, les protocoles de traitement sont néanmoins variables selon les équipes, reflétant les interrogations persistantes sur l’utilisation des molécules disponibles. À cela s’ajoutent d’autres interrogations concernant les durées de traitement, la détermination du risque de récidive et du risque hémorragique, et la prise en compte de situations particulières, telles les pathologies cancéreuses, ce d’autant que les recommandations disponibles pour la prise en charge de la MTEV sont moins tranchées que pour le syndrome coronarien aigu, et basées sur un niveau de preuve moins élevé. Un board organisé avec le soutien de l’Alliance BMS Pfizer, modéré par Denis Angoulvant (Tours) et Patrick Mismetti (Saint-Étienne), a permis d’aborder les questions en suspens.

La prise en charge initiale devant un premier épisode de MTEV est assez consensuelle en termes de durée, à savoir 3 mois au minimum, les schémas de traitement variant selon les molécules utilisées. La première grande question concerne la prolongation du traitement au-delà de 3 mois : 6 mois ou pour une durée indéfinie, ce qui signifie alors que le traitement ne sera éventuellement arrêté que lorsque le risque hémorragique sera estimé supérieur au risque de récidive thrombotique.   La MTEV doit-elle être considérée comme une maladie chronique ?   Si tel est le cas, elle nécessite un traitement chronique. L’étude PADIS-PE, chez des patients ayant présenté une embolie pulmonaire (EP) non provoquée traitée initialement pendant 6 mois par AVK, a comparé une extension du traitement AVK versus placebo pendant 18 mois(1). Le résultat est sans appel, montrant une réduction de plus de 80 % des récidives thromboemboliques (TE) sous traitement prolongé, ce qui apporte un argument en faveur de la chronicité de la maladie. Après l’arrêt des anticoagulants, le suivi jusqu’à 42 mois montre une réascension de la courbe des événements TE et un rattrapage du niveau de risque du groupe contrôle. L’étude RE-SONATE (dabigatran versus placebo pendant 6 mois) montre exactement le même phénomène de rattrapage pendant les 12 mois de suivi après l’arrêt du traitement(2). Le traitement initial ne résout pas le problème de fond posé par la MTEV, qui doit être considérée comme une maladie chronique (hormis certains épisodes provoqués).   Quelle est la durée optimale de traitement du premier épisode ?   Le risque de récidive est plus élevé avec un traitement court (< 6 semaines) comparativement aux traitements de 3, 6 ou 12- 24 mois, comme le montre une métaanalyse de données individuelles(3). Après l’arrêt du traitement, il n’y a plus aucune différence de risque quelle qu’ait été la durée du traitement initial. Cette métaanalyse montre également que le risque de récidive est équivalent pour la TVP et l’EP, et que les récidives sont le plus souvent identiques à l’épisode initial (EP si EP initiale ou TVP si TVP initiale). Toutefois le risque de mortalité est nettement supérieur chez les patients ayant présenté une EP (19 % vs 6 % pour la TVP), ce qui justifie la durée prolongée du traitement préconisée au décours d’une EP. Dans le cadre des TVP, les conséquences des récidives à l’arrêt du traitement sont relativement moins lourdes.   Déterminer la durée du traitement selon les circonstances de la MTEV ?   Une approche consiste à évaluer les circonstances de déclenchement de la MTEV : non provoquée ou provoquée par un facteur mineur ou un facteur majeur. La MTEV non provoquée récidive beaucoup plus après l’arrêt du traitement qu’une MTEV provoquée par un facteur mineur (au moins 2 fois plus) ou majeur(4). Les récidives chez les patients cancéreux sont encore plus fréquentes. Si le risque de récidive de MTEV avec facteur provoquant majeur est minime, la suppression de ce facteur ne met pas automatiquement à l’abri du risque de récidive (tout le monde ne fait pas une TVP sous immobilisation plâtrée), ce qui conduit à considérer que la thrombose résulte probablement d’une circonstance déclenchante sur un terrain à risque (notion de thrombophilie relative). C’est ce terrain qu’il conviendrait de déterminer et de prendre en compte dans la stratégie thérapeutique. Les recommandations de l’ACCP fournissent une gradation du risque de récidive selon les circonstances déclenchantes (tableau 1). Une autre gradation du risque de récidive à 1 an a été établie selon la définition des circonstances utilisée dans les études(5) (tableau 2). Le déficit en antithrombine et le syndrome des antiphospholipides peuvent être considérés comme des facteurs persistants. Les autres thrombophilies héréditaires ne sont plus considérées comme des facteurs majeurs. La classification de Kearon est assez opérante puisque près de 80 % de la population se retrouvent dans la catégorie « non provoquée », d’où l’intérêt de mettre en évidence les facteurs de risque individuels de récidive. Comment évaluer le risque de récidive individuel ?   Le premier critère conférant un risque élevé est lié au sexe. Le risque de récidive est 2 fois plus élevé chez l’homme que chez la femme, quelles que soient les circonstances de survenue de la MTEV(6) (tableau 3). Ce facteur de risque est retrouvé de manière constante dans toutes les études, mais il perd de son importance en cas de MTEV provoquée par une circonstance majeure. Le score de risque DASH, établi à partir des données individuelles de 7 études (1 818 patients avec TVP non provoquée), est basé sur 4 critères : le taux de D-dimères mesuré après arrêt du traitement anticoagulant (+2), l’âge < 50 ans (+1), le sexe masculin (+1), le traitement hormonal chez les femmes (-2)(7). Le critère d’âge semble paradoxal puisque le risque augmenterait à partir de 50 ans mais pourrait s’expliquer par la fréquence des thrombophilies dans la cohorte de dérivation de ce score. Selon DASH, l’incidence annuelle des récidives varie de 2,4 % à 21,9 % pour des scores allant de -2 à 4. La validation du score sur une cohorte de patients devrait être présentée fin 2017. Le modèle de Vienne utilise 3 critères : le sexe, la localisation (TVP distale/TVP proximale/EP) et le taux de D-dimères 1 mois après l’arrêt du traitement anticoagulant(8). L’utilisation de ce modèle suppose de prendre la décision de prolonger le traitement après l’avoir interrompu 1 mois (pour doser les Ddimères), ce qui nuit à sa mise en pratique. Le score HERDOO2 a été dérivé de la population de l’étude REVERSE II. Il est basé sur 4 critères : syndrome postthrombotique (HER : Hyperpigmentation, Edema, Redness), D-dimères mesurés sous traitement anticoagulant (> 250 μg/l), obésité (Obesity : IMC ≥ 30) et âge (Older age : ≥ 65 ans)(9). Chacun de ces critères vaut 1 point, ce qui donne un score de 0 à 4. Les critères utilisés sont assez cohérents avec les données des études, notamment pour l’âge, quoique le cut-off à 65 ans soit discutable ; la présence du critère de poids est sans doute liée à la population étudiée. Le sexe ne figure pas dans ce score, mais l’homme est systématiquement à haut risque de récidive. Les femmes ayant thrombosé sous pilule sont à faible risque de récidive si elles ne présentent aucun des facteurs de risque ; leur risque est 8 fois plus élevé si elles ont ≥ 2 facteurs de risque (avec ou sans pilule) versus < 2. Le facteur de risque hormonal étant évitable, il est inutile d’envisager un traitement préventif au long cours. Aucun score n’est actuellement préconisé dans les recommandations tant américaines qu’européennes. Au final, le risque de récidive est difficile à évaluer pour près de 80 % des patients, faute de scores clinico-biologiques dont la validité est certaine. Il est probable que d’ici quelques années, les études génomiques auront permis d’avancer dans cette approche d’identification du risque individuel.   Les questions à poser pour décider de la durée du traitement en fonction du risque de récidive • MTEV provoquée ou non provoquée ? • Facteurs provoquants majeurs : chirurgie, traumatisme, immobilisation aiguë > 3 jours ? • Cancer actif ? • Thrombophilie majeure : syndrome APL ; déficit AT, antécédents MTEV familiaux au 1er degré ? • Gravité de la MTEV (par exemple EP grave thrombolysée) ? • Caractéristiques du patient : sexe masculin, IMC > 30, syndrome post-thrombotique ? • D-dimères (sous traitement ou à l’arrêt du traitement) ?   Quel est le risque hémorragique sous traitement d’entretien ?   L’évaluation du risque hémorragique est l’un des paramètres pour décider du maintien sous traitement. À cet égard, l’âge a davantage d’impact sur le risque hémorragique que sur le risque thrombotique. Toutefois le risque hémorragique est 10 fois plus faible que le risque de récidive thrombotique (d’environ 5 %/an). L’efficacité des faibles doses d’AOD en prévention des récidives de MTEV a nettement modifié l’évaluation du bénéfice/risque dans la prise en charge de la maladie. Contrairement aux AVK dont l’index thérapeutique est étroit, les AOD ont un index thérapeutique beaucoup plus large, ce qui autorise à diminuer les doses. En divisant la dose d’AOD par 2, l’efficacité antithrombotique est maintenue et le risque hémorragique est réduit, alors qu’en diminuant la dose d’AVK pour obtenir un INR bas, on ne gagne rien en termes de thrombose ni d’hémorragies. L’aspirine avait été évaluée en traitement d’entretien, montrant un bénéfice non significatif sur les récidives mais un risque hémorragique majoré comparativement au placebo(10). Comparativement au traitement AVK standard (INR 2-3), le risque de récidive de MTEV est 4 fois plus élevé pour un risque hémorragique équivalent avec un traitement AVK à faible dose (INR 1,5). L’étude AMPLIFY-Extension a évalué pendant 12 mois, une demi-dose d’AOD versus une pleine dose et un groupe placebo, après un traitement initial de 6 à 12 mois(11). Le traitement à demi-dose (2,5 mg x 2/j d’apixaban) est aussi efficace qu’à pleine dose en prévention des récidives thromboemboliques (1,7 % dans les deux groupes apixaban vs 8,8 % dans le groupe placebo) avec un gain en sécurité d’emploi (hémorragies majeures ou cliniquement significatives (3,2 % vs 4,7 %). Les résultats récents de l’étude EINSTEIN-CHOICE confirment le bénéfice/risque de cette stratégie en prévention secondaire et disqualifient l’aspirine dans cette indication : réduction significative des récidives aux deux doses de rivaroxaban 20 mg et 10 mg/j versus aspirine (1,5 %, 1,2 % et 4,4 % respectivement, HR 0,34 et 0,26 vs aspirine) sans que le risque d’hémorragie majeure soit significativement plus élevé (0,5 %, 0,4 % et 0,3 % respectivement)(12). L’analyse a posteriori de cette étude permettra peut-être de mettre en évidence certains facteurs de risque de récidive. L’absence de bras AVK a été critiquée mais s’explique aisément par la percée récente des AOD dans cette indication.   Comment l’évaluer en pratique ?   Les recommandations de l’ACCP listent l’ensemble des facteurs de risque hémorragique (âge, antécédents d’hémorragie, cancer, insuffisance rénale, anémie, HTA non contrôlée, etc.), selon une évaluation de 0 = risque faible, 1 = modéré, à ≥ 2 élevé(13). Elles préconisent des durées de traitement selon la localisation de la MTEV et le risque hémorragique. Le score de risque hémorragique VTE-BLEED a été dérivé de la population de l’étude RE-COVER sous dabigatran(14) et validé sur la population de l’étude traitée par edoxaban dans HOKUSAI(15). Ce score est donc mieux adapté au traitement par AOD que les scores élaborés pour la FA chez des patients traités par AVK, qui provoquent deux fois plus d’hémorragies (tableau 4). En pratique   On se dirige donc, comme pour la FA, vers une évaluation du risque thrombotique et du risque hémorragique pour guider la décision thérapeutique. Cette décision est encore très influen cée par les AVK, en particulier la difficulté posée par leur index thérapeutique étroit, qui conduit à réévaluer régulièrement la poursuite du traitement en raison du risque hémorragique croissant. L’arrivée des AOD dans le traitement de la MTEV induit un changement de paradigme. Ces molécules ont une variabilité de concentration très élevée mais un index thérapeutique tellement large qu’elles ne perdent rien en efficacité à dose réduite. Ces caractéristiques autorisent à poursuivre le traitement anticoagulant à demi-dose chez les patients présentant des facteurs de risque de récidive et un risque hémorragique faible à modéré. 

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